Archives mensuelles : mai 2023

Scalpel et Plastic

© Martial Anton – Scalpel.

Deux fantaisies dystopiques pour acteurs et marionnettes – un spectacle mis en scène par Martial Anton et Daniel Calvo Funes / compagnie Tro-Heol – textes Alexandra-Shiva Melisdans – dans le cadre de la Biennale internationale des arts de la Marionnette – au Théâtre Thénardier de Montreuil.

Dans un lieu charmant et convivial, le Théâtre Thénardier à Montreuil, imaginé il y a quelques années par un musicien-architecte, Sarclo, à partir de matériaux de récupération et géré par un collectif d’artistes, les deux spectacles s’enchaînent, sans coupure ni pause, même s’ils ont été conçus en deux étapes et temps différents. Même auteure, même scénographie, mêmes acteurs-manipulateurs, même esprit des lieux, même philosophie. On se projette en l’an de grâce 2053. On s’en fichait alors comme de l’an 40, d’après l’expression consacrée, on ne s’en fiche plus depuis l’an 2000 après avoir fièrement changé de millénaire, ni au-delà, à l’heure de toutes les alertes, et jusqu’en l’an 3000 où nous mène le spectacle, alors qu’on n’y sera plus.

Superstition ou anticipation à la Orwell, ce qui nous attend n’est pas joyeux. La compagnie Tro-Heol le traite, dans Scalpel, sous l’angle de la métamorphose du personnage principal, Emma, bien sympathique mais un peu crédule. « Miroir, génie du miroir, suis-je la plus belle de tout le royaume … » Toutes les femmes se sont posé la même question dans les contes. Ici Emma prend les devants et décide d’améliorer son physique, en vue de booster sa carrière. Du troisième sous-sol de la bibliothèque municipale où elle travaille en tête à tête avec les livres, au service de l’archivage des ouvrages délaissés, elle rêve d’une promotion et de remonter en surface, à l’accueil de la bibliothèque. Il lui prend donc la lubie d’être belle, d’être plus belle, elle se trouve moche, ou on la trouve moche. Alors, ses économies en poche, elle démarche les chirurgiens des cabinets d’esthétique qui ne demandent pas mieux que d’intervenir sur toutes les parties de son corps dont le nez, les lèvres, les seins et autre. Armé de sa perceuse, le chirurgien attaque par la boîte crânienne et intervient allègrement jusqu’à la transformer en monstruosité. A partir de l’argument proposé, Alexandra-Shiva Melis, comédienne, marionnettiste et plasticienne a composé le texte qui met en vis-à-vis les normes auxquelles on s’assujettit et la pression qui va avec. L’objet marionnette, le matériau qui la fabrique, se prêtent bien à ce jeu de surenchère de la beauté, et la compagnie Tro-Heol s’en donne à cœur joie dans la causticité et la ridicule transformation de sa charmante poupée en personnage cauchemardesque aux proéminents appendices.

Le deuxième volet de la dystopie, Plastic – pièce satyrique pour comédien-ne-s, marionnettes et autres objets hétéroclites – nous mène à nouveau dans une époque bien éloignée de la nôtre. Pourtant elle pourrait y ressembler comme deux gouttes d’eau. On est à l’ère de la destruction du vivant, les espèces animales et végétales ont pratiquement disparu, l’air et l’eau se raréfient, thèmes devenus notre quotidien. Le plateau est ouvert, et hors-castelet comédien et comédienne l’envahissent avec leurs figurines à peine rassurantes. Pourtant, Eva cherche à sauver la planète et se lance avec son garde du corps, un serpent, dans d’étranges expérimentations qui pourraient influer sur les perspectives de fin du monde. En écho à Scalpel, c’est aussi Alexandra-Shiva Melis qui en a écrit le texte, jouant sur la découverte du plastique autant que sur son génie destructeur, Matthieu Maury en a inspiré l’univers visuel. La création sonore, pour Scalpel comme pour Plastic, est signée de DEF aux manettes de la musique électronique, actrice et acteur – Mélanie Depuiset et Frédéric Rebière – portent avec talent leurs personnages, autant le texte que la manipulation.

© Martial Anton – Plastic.

Fondée en 1995 par Martial Anton et Daniel Calvo Funes – qui en sont aussi les metteurs en scène – la compagnie Tro-Heol inscrit ses spectacles de théâtre et marionnettes dans des sujets de société et d’humanité. Conventionnée par le ministère de la Culture depuis une douzaine d’années, elle s’est installée à partir de 2003 dans le Finistère où les deux metteurs en scène conçoivent leurs spectacles pour un large public, souvent à partir de dix ans. Dans le cadre de la Biennale internationale des arts de la Marionnette, la Compagnie présente aussi # Everest, à l’espace Les Passerelles de Pontault-Combault (77), d’après le texte de Stéphane Jaubertie sur le thème de l’infiniment grand et l’infiniment petit, réponse à une commande de l’Institut International de la Marionnette pour une création de fin d’étude en juin 2021, avec les élèves de l’école.

Dans Scalpel, les metteurs en scène se demandent : « Jusqu’où serons-nous capables d’aller pour avoir la sensation d’être bien dans sa peau, de correspondre à la norme esthétique ou répondre aux attentes sociales et professionnelles. » Dans Plastic ils voient « Une sorte de fantaisie trans-hum-animaliste qui permet, par l’humour et par son écriture acérée, d’ouvrir un champ de la réflexion sur notre devenir… » Ils préparent actuellement une nouvelle création d’après le roman de Santiago Pajares, Imaginer la pluie, dont le contexte post-apocalyptique aura pour décor un appentis, un puits, deux palmiers et le désert à perte de vue. Autres inquiétudes d’avenir. À suivre.

Brigitte Rémer, le 28 mai 2023

Scalpel. Texte Alexandra-Shiva Melis – mise en scène et scénographie Martial Anton et Daniel Calvo Funes – avec : Mélanie Depuiset et Frédéric Rebière – musique DEF – marionnettes Daniel Calvo Funes – création lumières Martial Anton – régie Gweltaz Foulon – costumes Maud Risselin – construction décors Thomas Civel – Plastic. Texte Alexandra-Shiva Melis – mise en scène Martial Anton et Daniel Calvo Funes – avec : Mélanie Depuiset et Frédéric Rebière – musique DEF – marionnettes Daniel Calvo Funes et Fabrice Tanguy – scénographie Olivier Droux – création lumières Martial Anton – régie Gweltaz Foulon – costumes Maud Risselin – dessins préparatoires et séquences vidéo Matthieu Maury – construction décors Olivier Droux et Christophe Derrien.

Les 22 et 23 mai 2023, au Théâtre Thénardier, 19 rue Girard, 93100. Montreuil. Métro : Croix-de-Chavaux. Tél. : 01 40 03 75 75, site : www.theatre-thenardier.com – site de la Biennale des arts de la marionnette : www.lemouffetard.com – site de la compagnie : www.tro-heol.fr

© Martial Anton – Scalpel.

© Martial Anton – Plastic.

Triptyque au féminin, de Marta Cuscunà, marionnettiste et performeuse  

© Alessandro Sala / Cesuralab

La Semplicità ingannata au Théâtre Mouffetard – Sorry, Boys au Carreau du Temple, Il canto della caduta, à l’Espace Jacques Brel de Pantin – Trois spectacles présentés dans le cadre de la XIe Biennale Internationale des Arts de la Marionnette.

Portée par Isabelle Bertola et le Centre national de la Marionnette/Le Mouffetard qu’elle dirige, la Biennale Internationale des Arts de la Marionnette se reconnaît cette année dans le thème Résister-Exister : « Quels que soient la bataille engagée, l’époque ou le lieu concerné, ces spectacles témoignent de révoltes et de combats pour plus d’égalités, de solidarités et de libertés. »

Parmi une riche programmation, les spectacles de Marta Cuscunà sont mis à l’honneur. L’actrice et marionnettiste italienne – qui voulait être artiste de music-hall – est née dans une petite ville ouvrière, Monfalcone et s’est formée à Prima del Teatro, l’École européenne pour l’Art de l’Acteur, de Pise. Elle y rencontre les plus grands maitres du théâtre contemporain et dès sa première création, en 2009, intègre les marionnettes dans ses spectacles. Ses thèmes de prédilection tournent autour du féminin, avec sa volonté d’indépendance et ses combats. En 2020, Marta Cuscunà est répérée par Chantiers d’Europe du Théâtre de la Ville et depuis 2022, elle est artiste associée au Piccolo Teatro, à Milan.

© Alessandro Sala / Cesuralab

Sa ligne artistique, née d’une contrainte économique, est définie par le fait d’être seule en scène et d’interpréter tous les rôles. Elle travaille avec la scénographe, Paola Villani dans la recherche des techniques de manipulation et avec Marco Rogantes pour l’écriture des textes. Ensemble, ils cherchent à cerner « comment les mécanismes, les mécaniques, impactent la parole des personnages » ; le processus de création dure plus de deux ans. Marta Cuscunà est virtuose dans ce va-et-vient entre le texte et la technique de manipulation, elle est toutes les voix et voyage à vitesse grand v d’une figurine à l’autre comme un/une pianiste œuvre sur son clavier pour l’interprétation d’un grand concerto.

Dans son spectacle, La Semplicità ingannata/La simplicité trompée, créé il y a dix ans, en 2012, Marta Cuscunà est presque davantage actrice, que manipulatrice. L’argument, librement inspiré de Lo spazio del silenzio, de Giovanna Paolin, met en scène la rébellion d’une communauté de clarisses dans le couvent d’Udine, au XVe siècle. Marta Cuscunà s’en donne à cœur joie dans le marchandage d’abord de jeunes femmes bonnes à marier, ou pas – selon leur degré de beauté, leur caractère et le volume de la dot -. Les femmes mourant souvent en couches, on se bouscule sur le marché des veufs.

© Alessandro Sala / Cesuralab

Quant aux recalées à l’aptitude au mariage, le christ sera leur époux, leur vie, dans le couvent qui leur a grand-ouvert les portes. Là, certaines font le mur ou passent en cachette par les trous de la grille, certaines ont d’étranges visites, d’autres ont la permission de partir en grandes vacances, quelques-unes sortent accoucher dans la plus grande discrétion et avec la bénédiction de l’évêque qui pourrait être, dans quelques cas, le géniteur. On voit la novice se faire raser les cheveux, prendre le voile, faire vœux d’obéissance, jusqu’à ce qu’une demi-douzaine de clarisses organisent une rébellion contre le machisme ambiant. « Dehors, nous ne valons rien », constate l’une d’elle. Et on suit leur épopée-western : absence de missel, crucifixion, nouveau vicaire général, offices, jusqu’à ce que les choses, soixante ans plus tard, se remettent dans l’ordre. C’est piquant, drôle et léger et Marta Cuscunà est dans son élément entre le voile de la mariée qu’elle interprète avec talent et humour et celui de la clarisse-résistante. On a l’impression d’être dans l’allée d’une église, ses marionnettes situées côté jardin, entrent en piste dans la seconde partie du spectacle, celle de la révolte du couvent et vont de la sidération à la désolation, de l’opposition au combat.

© Alessandro Sala / Cesuralab

Dans Sorry, Boys ! créé en 2015, l’exploration des résistances féminines se poursuit, nous sommes face à une galerie de portraits, une douzaine de têtes coupées semblant enfermés dans un carcan ou piquées comme les papillons d’une collection arrêtés dans leur vol. Ces personnages réagissent à une épidémie de grossesse dans une institution scolaire. Côté jardin, l’équipe pédagogique de l’institution et le directeur essayant de dissimuler, des parents, qui, indignation mise à part, cherchent à comprendre et apportent leurs commentaires débridés. Côté cour, les jeunes géniteurs version gros benêts. Marta Cuscunà s’est inspirée d’un fait divers qui avait défrayé la chronique d’une petite ville du Massachusetts, en 2000. Dix-huit lycéennes de moins de seize ans décidaient de tomber enceinte en même temps pour élever leurs enfants ensemble. Les dialogues en direct se complètent par des textos qui s’affichent sur un écran où s’échange la parole des jeunes femmes. Là encore, le plus spectaculaire est ce qui se passe techniquement à l’arrière, avec l’actrice-marionnettiste qui porte les dialogues et danse latéralement avec ses figures à animer. C’est virtuose et sportif.

Dans Il canto della caduta/ La chanson de l’automne, créé en 2018, troisième spectacle présenté par Marta Cuscunà dans le cadre de la Biennale Internationale des Arts de la Marionnette, l’élément visuel est d’une toute autre facture. La scénographie travaille en verticalité et sur trois niveaux de lecture nous mène du centre de la terre chez les souris au paradis des oiseaux, là-haut. Le spectacle est librement inspiré du règne des fanes, véritable mythe issu des légendes d’une province italienne située au Sud-Tyrol, à la frontière de l’Autriche et de la Suisse et qui se transmettent de génération en génération. Construit à partir de différentes sources, il raconte la fin tragique d’un peuple pacifique des Dolomites vivant de manière égalitaire et en symbiose avec la nature, qu’un roi étranger, belliqueux et cruel, vient anéantir pour se maintenir au pouvoir. Les Fanes tuent leurs propres enfants. On assiste à la lutte entre le roi et sa fille et les oiseaux commentent le combat. Il y a du fantastique et du politique dans l’argument et la mécanique complexe des oiseaux géants, qui font figure de commentateurs, tels des dieux. La marionnettiste les manipule par un réseau complexe de câbles et de leviers dont elle joue avec virtuosité. Sans compter ses passages vers le bas de la structure scénographique où elle redescend manipuler les rescapés du massacre, petites marionnettes masquées : on est chez Aylan, un souriceau qui s’impatiente de ne pouvoir sortir à son gré, et sa mère qui le raisonne et le recoud. Et elle lui lit une épopée, comme un conte fantastique. « Aylan, quel passage veux-tu entendre, aujourd’hui ? demande la mère – L’histoire des origines répond-il – Aylan, arrête de trembler, quel passage ? Le noir, la chute ? » reprend la mère. Des courtes phrases s’échangent, à la manière de cadavres exquis.

© Alessandro Sala / Cesuralab

Nous nous enfonçons dans la montagne, écouter le secret d’Amargi, figure-totem des aïeuls et ses anciennes coutumes. Une véritable épopée nous est racontée. Et c’est sur un écran mobile, qui se lève et redescend, situé entre les deux niveaux, qu’on voit le relief inhospitalier de montagnes qui se fendent et de nuages qui mangent la montagne. A l’arrière-scène, un grand écran blanc reçoit les ombres de la structure métallique qui compose l’armature de la scénographie, et celles des oiseaux regardant l’infini, qui, en contre-jour, est de toute beauté. Il ne reste, dans le chant final, qu’un silence de fin du monde et le cliquetis du métal dans la manipulation des oiseaux. Marta Cuscunà est chacune des voix du spectacle et pianote sur son clavier peu tempéré de la manipulation. C’est une guerrière qui nous mène du merveilleux à la réalité.

© Alessandro Sala / Cesuralab

Porte-flambeau de la défense du féminin dans ses différents spectacles, sous des formes variées et pleines de causticité, Marta Cuscunà est une engagée-enragée, artistiquement comme politiquement. Elle ose la provocation ravageuse et, si ses spectacles sont parfois un peu bavards, sa présence, physique et vocale est un plaisir et provoque l’admiration. Sa dextérité et virtuosité de conteuse-actrice et de manipulatrice, fruits d’un immense travail, sont à féliciter chaleureusement.

La Semplicità ingannata, les mardi 16 et mercredi 17 mai 2023 à 20 h au Mouffetard/CNMa (75005). Assistant Marco Rogante – création lumières Claudio « Poldo » Parrino – création son Alessandro Sdrigotti – régie plateau, son et lumières Marco Rogante et Alessandro Sdrigotti – réalisation décor Delta Studios et Elisabetta Ferrandino – réalisation costumes Antonella Guglielmi – traduction, surtitrage Federica Martucci – Sorry, Boys ! les mercredi 10 et jeudi 11 mai 2023 à 19h30 au Carreau du Temple (75003). Conception et réalisation des têtes coupées Paola Villani – assistant réalisateur Marco Rogante – création lumière Claudio « Poldo » Parrino – création son Alessandro Sdrigotti – animation graphique Andrea Pizzalis – création graphique  Andrea Ravieli – têtes inspirées par Eva Fontana, Ornela Marcon, Anna Quinz, Monica Akihary, Giacomo Raffaelli, Jacopo Cont, Andrea Pizzalis, Christian Ferlaino, Pierpaolo Ferlaino, Filippo pippogeek Miserocchi, Filippo Bertolini, Davide Amato – diffusion France Jean-François Mathieu – traduction, surtitrage, Federica Martucci – Il canto della caduta, les samedi 13 mai à 18h et dimanche 14 mai 2023 à 16h, Salle Jacques Brel, à Pantin. Conception et réalisation animatronique Paola Villani – assistant à la mise en scène Marco Rogante – conception vidéo Andrea Pizzalis – création lumières Claudio « Poldo » Parrino – coach vocal Francesca Della Monica – traduction, surtitrage Federica Martucci – création sonore Matteo Braga Régie – lumière, audio et vidéo Marco Rogante – constructions métalliques Righi Franco Srl – assistant réalisation animatronique Filippo Raschi – collaborateur Giacomo Raffaelli.

Brigitte Rémer, le 23 mai 2023

Médée

© Vincent Pontet (1)

D’après Euripide, traduction Florence Dupont – adaptation et mise en scène Lisaboa Houbrechts – avec la troupe de la Comédie-Française /Salle Richelieu.

Surgissant de la salle, Bakary Sangaré, dit La Nourrice, amorce le récit. Il n’a de Nourrice que le nom, fait fonction de narrateur et sera plutôt, au cours de la pièce, une sorte de témoin prostré et chiffonné face à ce qu’il voit. Première inversion du féminin-masculin. Au centre du plateau, est posé un tissu bleu qui pourrait ressembler à une tente de laquelle émergera Médée en effigie juste après, quand on le montera dans les cintres. Un long, très long cri se fait entendre, laissant penser que l’action se déroule après le sacrifice des enfants et que l’on va remonter le temps.

Apparaît Médée (Séphora Pondi), fille du roi de Colchide et épouse de Jason, à l’opposé de tout archétype. Sur sa robe noire s’écrase un gros cœur rose, illustrant le propos de la metteure en scène : « Médée est pour moi une histoire d’amour », interprétation un peu courte. Prêtresse d’Hécate et descendante du Soleil, mortelle et déesse à la fois, Médée détient des pouvoirs magiques. Certes, par amour elle avait aidé Jason à conquérir la Toison d’or par sa magie, mais elle avait trahi son père et tué son frère avant de s’enfuir avec les Argonautes et de se réfugier en terre corinthienne. Là, Créon les avait accueillis, Jason l’avait épousée, deux enfants étaient nés. Mais les amours avaient tourné et Jason allait convoler en secondes noces avec Creüse, fille de Créon. Dans la tragédie d’Euripide la violence de Médée est au paroxysme et la vengeance s’exprime dans toute sa crudité et son horreur. Bannie de la cité, c’est au cours du délai négocié – un jour – que Médée accomplit ses gestes meurtriers : elle tue le nouvel amour de Jason et emporte Créon dans le même geste, avant d’accomplir, comme châtiment ultime et acte le plus barbare, celui de tuer ses enfants, pour priver le père de leur présence.

Dans ce Médée adapté et mis en scène par Lisaboa Houbrechts, les personnages se succèdent, dans leur singularité : Créon (Didier Sandre) qui, avant de marier sa fille, enjoint Médée de quitter le pays « Je n’arrive pas à te faire confiance. » Le Chœur, synthèse de trois chœurs qui se mélangent, celui de Colchide, de Corinthe et d’Athènes et qui glisse de manière fantomatique dans des costumes raides et peu seyants. Aphrodite, déesse de l’amour en robe rose, (Léa Lopez) rôle ajouté au spectacle pour surligner l’amour-passion de Médée envers Jason, morceaux de textes greffés à la belle traduction de Florence Dupont. Jason, en femme, (Suliane Brahim) brûlante étreinte avec Médée dans un reste de tendresse et fausse réconciliation, seconde inversion du féminin-masculin. Égée, stérile roi d’Athènes (Anna Cervinka) en est la troisième inversion, face à Médée tenant le rôle d’Oracle de Delphes et qui s’engage à le/la rendre fertile. Créüse (même actrice qu’Aphrodite) qui fait un bref passage pour raconter sa mort et celle de Créon.

© Vincent Pontet (2)

L’imagerie proposée ici ne sert guère le propos : les fils à linge où sèchent tee-shirts et pantalons des enfants, démultipliés par leurs ombres sur l’écran orange du fond de scène, n’est qu’un effet plaqué, non exploité donc inutile (lumières de Fabiana Piccioli) ; celle des enfants représentés par deux ballons de couleur noire – ces ballons qu’on nous donnait chez les marchands de chaussures et qui très vite s’envolent – est une idée des plus ridicules, même si l’actrice fait ce qu’elle peut pour faire passer ce mauvais moment dans un simulacre d’accouchement. Les ballons se crèvent, l’un après l’autre, suivis des pleurs d’un bébé qui surgissent, au cas où le public n’aurait pas compris. Le tableau final convoque une sculpture grecque, massive, à moitié détruite et scindée en deux, à la manière de David Bobée, sculpture autour de laquelle le chœur devise. C’est la représentation probable du char céleste au sommet duquel est montée Médée, qui semble s’être absentée, avant de rejoindre Égée à Athènes, dans l’errance sans fin qui l’attend (scénographie de Clémence Bezat). À retenir, un moment de grâce et d’émotion en cette scène finale, le magnifique chant en arménien interprété par Serge Bagdassarian.

© Vincent Pontet (3)

Dans ce traitement de la pièce, dès le départ une musique nous environne qui très vite plafonne et devient bruit de fond (musique originale de Niels Van Heertum). Aucun acteur ne peut donner sa pleine mesure, pas même Médée, figure paradoxale s’il en est, qui derrière son énergie n’est pas vraiment guidée. Les origines camerounaises de Séphora Pondi auraient pu d’autant nous mener dans une vengeance distillée sur les chemins de l’irrationnel, des croyances, de la jeteuse de sorts et de la sorcellerie, sinon à quoi bon choisir l’excellente actrice ?

La lecture proposée par Lisaboa Houbrechts, égérie de la nouvelle scène flamande, est une version très simplifiée de Médée : ses inversions du masculin-féminin sont sans-objet si ce n’est surligner la fin de règne du masculin et prendre Médée comme prototype de la femme trahie et répudiée, victime de ce pouvoir masculin ; diversité sur les plateaux ô combien légitime mais n’est pas Peter Brook qui veut. La metteure en scène coche toutes les cases des clichés d’aujourd’hui, avec effets et artifices. C’est bien décevant !

Brigitte Rémer, le 20 mai 2023

© Vincent Pontet. 1/ Séphora Pondi (Médée), Suliane Brahim (Jason) – 2/ Séphora Pondi (Médée), Léa Lopez (Aphrodite) – 3/ Anna Cervinka (Égée), S. Pondi (Médée) – 4/  Didier Sandre (Créon), Séphora Pondi (Médée).

© Vincent Pontet (4)

Avec la troupe de la Comédie-Française :

Serge Bagdassarian, Bakary Sangaré, Suliane Brahim, Didier Sandre, Anna Cervinka, Élissa Alloula, Marina Hands, Séphora Pondi, Léa Lopez et les comédiennes de l’académie de la Comédie-Française, Sandra Bourenane, Yasmine Haller, Ipek Kinay. Dramaturgie : Simon Hatab – scénographie : Clémence Bezat – costumes : Anna Rizza – lumières : Fabiana Piccioli – musique originale : Niels Van Heertum – chants : Jérôme Bertier- son : Jeroen Kenens – travail chorégraphique : Tijen Lawton – maquillages : Céline Regnard – assistanat à la mise en scène : Céline Gaudier -assistanat à la scénographie : Nina Coulais de l’académie de la Comédie-Française – assistanat aux costumes : Clément Desoutter de l’académie de la Comédie-Française.

Du 12 mai au 24 juillet 2023, Comédie-Française, salle Richelieu, Place Colette. 75001. Métro Place Colette – spectacle joué en alternance selon le calendrier à consulter sur le site : www.comedie-francaise.fr – tél. : 01 44 58 15 15.

Des Comètes

© Alexandre Brisa

Pièce musicale scénarisée pour harpe, voix, percussions, objets et machines, conception et interprétation Laure Brisa – Collaboration artistique Alexandre Brisa – au Monfort Théâtre.

D’emblée nous sommes dans la galaxie, des queues de comètes projetées le confirment. Aux commandes de l’engin spatial, Laure Brisa, ses instruments et ses machines protégés par des voilages qui l’enserrent, sur un praticable mobile en forme de cercle, et qui se met en orbite.

Ça tourne ! le dispositif est composé de deux parties qui se désolidarisent. Au centre, la harpe comme une reine mère, instrument majeur du concert dont Laure Brisa détourne le registre et qu’elle amplifie avec des micros de différentes natures. La musicienne construit un tissu sonore avec percussions, synthétiseurs, boîtes à rythme, capteurs, piano électronique, grosse caisse, séquenceur, pads et avec de nombreux micros. Les morceaux sont des compositions personnelles, certaines ont été co-écrites ou arrangées avec des collaborateurs, certaines sont pré-enregistrées. Le mix se fait en direct, de nombreuses pédales d’effets et des objets tels qu’archets, clés et baguette de verre décomposent et détournent le son.

© Alexandre Brisa

Au milieu de ce champ des possibles Laure Brisa ne perd jamais les pédales. Sa voix est aussi au cœur du sujet, elle chuchote dans les micros, parle et chante, en anglais et en français, parfois en espagnol. On est content de découvrir son visage, d’abord sur un petit écran type télévision qui tourne un moment en rond, puis pour de vrai, quand les rideaux commencent à s’envoler et qu’on entre avec elle dans un trou d’air.

Alors tout s’ouvre et son laboratoire s’affole. Derrière elle un immense écran compte les nuages qui passent. Des jeux de lumière sophistiqués la suivent dans sa salle des machines où elle enchaîne les morceaux. Des miroirs se mettent à tourner, les instruments s’y reflètent, de même que sur les murs. Laure Brisa revient avec le monologue d’Hamlet, se métamorphose en magicienne, clown ou carabosse, évoque l’interprétation du miroir par Platon, raconte le surdosage d’oxygène de sa grand-mère provoquant des visions. Dans sa galaxie, le champ sonore est roi de la fête.

Puis à un moment toute musique se suspend et on entend le bruit du vent, suivi du  ressac des vagues et des craquements du feu, images à l’appui. Il y a un savant mélange de séquences entrecoupées de sons qui arrivent de tous bords, de chansons bien maîtrisées. Des Comètes est conçu comme un spectacle.

Dans ce monde onirique où Laure Brisa, musicienne, compositrice et actrice, devient la fée-marraine, on se laisse porter dans son interstellaire sensible et multimédia sensoriel, entre images, lumières, scénographie, voix, harpe et instruments, pour notre plus grand plaisir.

Brigitte Rémer, le 19 mai 2023

Du 10 au 17 mai 2023 à 21h (relâche le 14 mai), au Monfort Théâtre, 106 rue Brancion. 75015. Paris – tél. : 01 56 08 33 88 – site : www.lemonfort.fr

Collaboration artistique Alexandre Brisa – conception et construction de la scénographie Johann Chabal – réalisation d’images Chloé François, Alexandre Brisa / Paume – création et régie lumière Matthieu Etignard / Atfull – ingénieur du son Warren Dongué – travail chorégraphique Fanny Sage, Marie Bourgeois et Caroline Bouquet – costume fourni par Balmain Paris – conseiller scénographique et artistique Yoann Bourgeois.

Augures

Texte et mise en scène de Chrystèle Khodr, avec Hanane Hajj Ali et Randa Asmar – En français et en arabe surtitré –  à la MC93-maison de la culture de Seine-Saint-Denis, Bobigny.

© MC93 Bobigny

Deux grandes figures du théâtre libanais depuis les années 80, Hanane Hajj Ali et Randa Asmar, issues de deux horizons différents, se rencontrent sur une scène de théâtre alors que tout les divise. Elles ne se ressemblent pas et sont de confessions différentes. La première est musulmane, de Beyrouth Ouest où se trouvaient les camps de réfugiés palestiniens et les partis de gauche ; la seconde, chrétienne, vient de Beyrouth Est, quartiers plus conservateurs et de droite. Elles ont vécu et travaillé de part et d’autre de la ligne de démarcation pendant les quinze ans de guerre civile au Liban, de 1975 à 1990, ont connu les bombardements, les abris en sous-sol et la peur au quotidien. Toutes deux se sont formées à l’art dramatique, l’une à la section 1 de l’Institut des Beaux-Arts, l’autre à la section 2, mêmes parcours, apprentissages différents. Toutes deux ont déjoué l’opposition de leurs pères et les stéréotypes qui vont avec, pour pratiquer leur art. Elles ont découvert la puissance du théâtre. Se rencontrer sur une scène, pour la première fois, est déjà en soi un événement.

Hanane Hajj Ali, qui se présente comme une artiviste, a participé à l’aventure de la troupe El Hakawati fondée par Roger Assaf, porteur d’un théâtre engagé développant le travail du conteur, les histoires partagées, les expériences collectives. Avec la troupe, de toutes confessions et dans la plus grande pluralité, il ouvre une agora autour d’un lieu qu’il appelle Chams/le Soleil, où il invite les étudiants en art dramatique à venir travailler et répéter. Hanane Hajj Ali – devenue sa femme, est actrice, dramaturge, écrivaine et enseignante en études théâtrales à l’Université Saint-Joseph. Elle tient une place importante dans le monde artistique et culturel libanais. « La troupe était ma vie » dit-elle. Elle a présenté au dernier Festival d’Avignon, en 2022, une pièce intitulée Jogging qu’elle a écrite, conçue et qu’elle interprète.

Actrice, traductrice de textes dramatiques internationaux en arabe et professeure d’art dramatique à l’Université libanaise, Randa Asmar dirige le Festival du printemps de Beyrouth, depuis sa création en 2008 par la fondation Samir Kassir – du nom d’un historien et journaliste franco-libanais tué dans un attentat à la voiture piégée, en 2005. Encouragée dès le départ par Chakib el-Khoury son professeur de la Faculté, Randa Asmar a débuté avec Raymond Gebara, qui fut une personnalité importante du théâtre libanais, disparu en 2015, et sous la direction de grands metteurs en scène libanais et arabes dont Jawad al-Assadi, Ghazi Kahwagi, Mounir Abou Debs et de la metteuse en scène Nidal el-Achkar. En 1985, à 23 ans, elle obtient le prix du Meilleur espoir féminin au Festival international du film de Baghdad, et recevra par la suite de nombreuses distinctions.

Depuis toujours, les deux actrices ont pour passion et pour refuge, le théâtre. Au Liban, l’Histoire n’existe que dans les mémoires, rien n’est inventorié. Il existe peu de traces, peu d’archives, de ce fait, tout passe par la transmission orale. Pour reconstruire des pans de la mémoire collective effacée et du récit national, Chrystèle Khodr, l’auteure, qui est aussi actrice et metteuse en scène, née dans les années 80 donc de la génération suivante, et qui a vu ses aînées sur scène quand elle avait quatorze ans, les questionne sur leur passé, pour mieux comprendre son présent. A partir de ces interviews et autres pistes de recherche auprès des artistes, elle élabore le spectacle.

© MC93 Bobigny

Les deux grandes dames s’installent côte à côte à l’avant-scène sur une chaise, face au public. Élégantes, elles se mettent à papoter, en grande complicité. Mais derrière leurs souvenirs éparpillés et les morceaux de leur biographie, on pénètre au cœur de leur métier d’actrice et d’un théâtre qui s’est construit au fil des ans et des libertés, dans un pays divisé. Elles confrontent leurs expériences, personnelle, politique et artistique et échangent leurs points de vue. De confidences en divergences, elles jonglent l’une et l’autre avec l’autodérision, la malice, le fou rire, le trou de mémoire, la tendresse et parfois la provocation, passant du rire aux larmes et du chant à la danse. Dans leurs corps elles se remémorent, et leur jeunesse insolente se souvient que malgré les bombardements et les obligations de mises à l’abri, chacune passait de l’autre côté pour voir des spectacles et se sentir vivante. Au risque de leur vie, elles ont fui le réel.

Elles sont drôles et tendres tout en taillant dans le vif, et par leur force de vie apportent un brin d’espoir. Hanane raconte qu’elle amusait la galerie par les accents qu’elle composait et les saynètes qu’elle improvisait dans la cour de l’école, Randa excellait dans l’imitation des profs et la lecture de pièces au cours de littérature. Le spectacle est pétri de leurs histoires et de leurs émotions, de leur énergie. Leur musique est consolation, elles se sont battues pour la liberté d’expression, pour leur liberté de femme et quand Hanane fredonne la chanson de Ziyad, le fils de Feyrouz, on voyage dans le temps et la géographie.

© Le Safran – Amiens

La démarche de Chrystèle Khodr qui se met à l’écoute de ses aînées pour questionner l’Histoire du théâtre au Liban pendant la longue guerre civile, à travers des parcours intimes et expériences personnelles, est remarquable. Elle laisse la mémoire doucement se révéler et s’efface, au fil de ses interrogations. Les questions d’identité et le lien entre les générations meurtries, la transmission nécessaire, sont au cœur du sujet. Le travail d’écriture et de recherche en vue d’élaborer Augures s’est fait en plusieurs étapes, comme le dit la metteuse en scène : un travail autour des archives personnelles des actrices ; des entretiens avec les artistes du théâtre et de la danse qui ont vécu et travaillé pendant la guerre ; des entretiens avec les deux actrices. Dans la galerie des fantômes du théâtre qu’elles convoquent, il y a aussi Jalal Khoury, metteur en scène brechtien qui a laissé traces avec La Résistible ascension d’Arturo Ui, Paul Mattar, fondateur du Théâtre Monnot, l’acteur Antoine Kerbage et bien d’autres encore.

Envers et contre tout il y eut un âge d’or du théâtre libanais, les témoignages collectés par Chrystèle Khodr en attestent, Hanane Hajj Ali et Randa Asmar en rendent compte. Ils sont précieux car les traces matérielles se sont, elles, massivement effacées de la ville qui a détruit l’ensemble de son patrimoine architectural. Beaucoup de salles de spectacles n’existent plus, brûlées, détruites ou converties en boutiques et restaurants. La lutte donc continue pour que le théâtre vive et que Beyrouth se reprenne en mains, économiquement, architecturalement, philosophiquement, et que les identités cohabitent dans le respect des appartenances de chacun. Hanane Hajj Ali et Randa Asmar seraient ces oiseaux de bons augures.

Brigitte Rémer, le 18 mai 2023

Lumière et direction technique Nadim Deaibes – Paysage sonore Nasri Sayegh et Ziad Moukarzel – Assistanat à la mise en scène Walid Saliba – Costumes Good.Kill

Vu en avril 2023, à la MC93-Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, 9 boulevard Lénine, 93000 Bobigny – métro : Bobigny Pablo-Picasso – site : www.mc93.com – Le spectacle a été créé en mai 2021, à Beyrouth et a tourné dans plusieurs festivals européns.

Requin

© David Kretonic

Texte de Bertrand Belin, mise en scène et adaptation Laure Hirsig, Compagnie du Squale, à la Maison des Arts de Créteil.

Un jour dans un vide grenier Laure Hirsig tombe sur un livre qui l’intrigue et la capte, c’est Requin, de Bertrand Belin. La lecture du récit la capture, la poursuit, elle ne le lâche plus. Elle décide d’adapter le texte et le crée avec la compagnie du Squale, qu’elle a fondée en octobre 2021 à Genève. « Comme le requin fend l’horizon de son aileron, la Compagnie du Squale taille une incise dans la réalité, pour se glisser dans les eaux troubles de la psyché, là où l’on n’a pas pied » écrit-elle. Cela définit exactement le travail qu’elle présente.

Trois personnages sont sur scène. L’Homme, le naufragé, au moment de la noyade au fond de ce lac – le contre-réservoir de Grosbois-en-montagne, près de Dijon – dans son combat et sa solitude absolue, oscillant entre survie, humour, dérision et désespoir (Vincent Coppey). Il ne quitte pas la scène. Les deux autres personnages font des apparitions et accentuent le mystère et la singularité de l’ensemble : Le Garçon, pourrait représenter l’adolescence et le souvenir, dans sa vertigineuse présence-absence (Eliot Sidler) ; Le Nixe, ce génie des eaux dans les mythologies germanique et nordique, est ici joueur de guitare électrique et chanteur, de loin en loin (François Revaclier). Rôdeur énigmatique et marécageux, il glisse, sans paroles, autour de L’Homme, prêt à l’enfoncer plutôt qu’à l’aider, image de la part sombre du personnage et de la mort qui guette.

La proposition scénique porte le texte avec une grande finesse et intelligence, elle s’inscrit sobrement dans un paysage visuel suffisamment explicite pour nous conduire dans les tréfonds de la mémoire et du lac où sombre L’Homme. « On se croirait dans la grotte ornée du littoral européen » décrit-il. Le plateau est recouvert d’un plastique noir, on se croirait dans la vase et une tenture noire et brillante, ressemblant à une vitre cassée, transmet ses reliefs et sa réverbération, en donnant de la profondeur de champ (scénographie Davide Cornil).

Sorte de confession, ce récit est introspectif et nous mène jusqu’au subconscient de L’Homme luttant contre la convulsion qui anéantit ses efforts, et qui reste pourtant en prise directe avec la vie. À deux pas, Alan, son fils, resté sur la rive avec Peggy, sa femme. « Pour mourir il suffit souvent d’un rien… » De cette baignade, apparemment banale, L’Homme ne reviendra pas. « Aujourd’hui, je me noie… J’ai raté mon entrée dans la vie, vais-je rater ma sortie ? » se demande-t-il. Il passe en revue l’enfance avec sa collection de fossiles qu’il avait aimé rassembler, à l’âge de huit ans ; les fouilles effectuées et son métier de topographe à défaut, mêlant fossiles et archéologie préventive ; le premier baiser donné à Peggy ; la famille avec qui il règle ses comptes évoquant entre autres les onze litres de lait repêchés dans le port de Dieppe que son ectoplasme de père avait absorbé tout d’une traite, image qui revient au fil du spectacle. Pourtant la vie rôde encore en images mentales décalées, avec le supermarché, le compteur d’électricité à relever, la salle de bains à refaire… « Je n’ai jamais su vivre » dit-il en se ré-inventant des morceaux de vie.

© David Kretonic

Sur une passerelle située au-dessus du plateau, côté jardin, comme sur un navire, apparaît Le Garçon à l’anorak orange, s’éclairant à la lampe tempête. On revoit le port de Dieppe cette nuit-là. Il fait le récit le plus cruel des cygnes qui l’attaquent, et de celui qu’il décapite et qui se noie, il devient Cygne lui-même. Tout est mystère, cosmologie, dédoublement. Des lumières, stroboscopiques parfois arrivent de plein-face. Crues à certains moments, rouges plus tard, d’autres lumières forment le toit de la scène et accompagnent le délire sensuel et les rêves de douceur qui surgissent aussi (création lumières David Kretonic). Et le noyé reprend, « Je ne réussis qu’à retomber en moi », glissant de plus belle. Dans ses visions, il perçoit un requin-labyrinthe, puis Peggy et Alan dans un carré de lumière, qui se désarticulent, traduisant sa perte de conscience. Accident, suicide ? Délire… Comme un Christ re-crucifié, il est accroché aux deux filins d’acier qui le soulèvent, on ne sait plus s’il nage ou s’il vole. Des voix se croisent, des gestes s’ébauchent, vainement. On assiste à une danse macabre, aquatique et chorégraphiée. Le Nixe – qui gère la bande son du spectacle (composition sonore et musicale Fernando de Miguel) – s’approche de L’Homme et orchestre l’ode funèbre. Il pleut sur le toit du théâtre, la pluie s’intègre à la bande-son. À la fin, L’homme se balance, à plat ventre, au centre du plateau, on entend comme en écho, le rire de la mort.

© David Kretonic

On connaît Bertrand Belin comme musicien, auteur, chanteur, compositeur, on ne sait pas forcément qu’il a aussi écrit plusieurs romans. Requin est son premier. Laure Hirsig s’en empare et compose un texte métaphorique pour la scène, nous faisant partager l’émotion ressentie à sa lecture. L’histoire se passe dans et au fond de l’eau, ce lac artificiel. À défaut de requin il y a la mort au lac, la mort en face. Cette étreinte et baiser de la mort sont donnés par Le Nixe, ce personnage en noir et sorte de double.

La mise en scène que propose Laure Hirsig de ce texte aux messages codés et aux incursions dans le subconscient, donne un sens infini au parcours, révélant un puissant talent de conception et de direction d’acteurs – dont les trois sont à féliciter, chacun à son niveau. Sa formation passe par la gravure, qu’elle apprend à l’École Estienne à Paris où déjà elle creuse son sillon entre technique et création. Elle s’installe à Genève, en 2003 et s’immerge dans le milieu théâtral, participant à différentes aventures théâtrales comme auteure, dramaturge et metteure en scène. Elle a présenté Requin en avril dernier, au Théâtre Saint-Gervais de Genève, l’espace méditatif qu’elle élabore, derrière cette mort en direct, est magnétique.

Brigitte Rémer, le 17 mai 2023

© David Kretonic

Avec Vincent Coppey (L’Homme), Eliot Sidler (Le Garçon), François Revaclier (Le Nixe) – scénographie Davide Cornil – création lumières David Kretonic – composition sonore et musicale Fernando de Miguel – coiffure et maquillages Arnaud Buchs – costumes Éléonore Cassaigneau – complice Bogdan Nunweler – assistante Charlotte Chabbey – régie son Jean Keraudren – administration Cristina Martinoni – training Marcela San Pedro.

Du 10 au 12 mai, Maison des Arts de Créteil, Pl. Salvador Allende, 94000 Créteil – tél. : 01 45 13 19 19 – site : www.maccreteil.com – email de la compagnie : cie_du_squale@hotmail.com

Je suis un oiseau de nuit

© Laurent Michelin

D’après Ida ou le délire de Hélène Bessette – adaptation et mise en scène Laurent Michelin – compagnie En Verre et Contre Tout – Théâtre de l’Épée de Bois, Cartoucherie de Vincennes.

Hélène Bessette (1918-2000) fait partie de ces auteures mal-connues, pour ne pas dire méconnues. Elle a pourtant, grâce à sa rencontre avec Raymond Queneau qui appréciait son écriture, publié treize romans chez Gallimard, entre 1953 et 1973. Nathalie Sarraute, Jean Dubuffet, André Malraux et d’autres la reconnaissent, et Marguerite Duras écrit : « La littérature vivante, pour moi, pour le moment, c’est Hélène Bessette, personne d’autre en France. » Elle avait gagné le prix Cazes en 1954, qui récompense un auteur jamais primé auparavant et a été deux fois pressentie pour le prix Goncourt et le prix Médicis. Mais le temps et le milieu littéraire ont la mémoire courte et elle n’est pas la fille de… Petit milieu d’origine, institutrice, elle passe trois ans en Nouvelle Calédonie où elle suit son mari, pasteur, qui s’est donné pour mission d’évangéliser l’île. Elle rentre seule en France en 1949 avec l’un de ses fils, le second reste avec le père. Elle s’installe dans une chambre d’hôtel, à Roubaix. Après avoir démissionné de l’Éducation Nationale en 1962, elle se consacre à l’écriture. Son style, personnel et singulier, déroute, elle détourne et change les codes narratifs habituels, tient aussi un journal. L’absence de reconnaissance la mène à la folie.

© Laurent Michelin

Depuis plusieurs années Laurent Michelin se penche sur Hélène Bessette et en adapte aujourd’hui le roman poétique Ida ou le délire. Il met en scène son adaptation, deux actrices interprètent Ida et son double, Christine Koetzel qui est aussi narratrice et Marion Vedrenne. Sa mise en images est passionnante. Tout tourne autour de la mort de Ida, qui laisse un certain suspens. S’est-elle jetée du balcon ? A-t-elle été happée par un camion ? Accident ou suicide, sa disparition suscite le trouble. Employée de maison simple et discrète, elle avait passé quinze ans dans le château des Mercier où elle s’était usée. Sa patronne d’aujourd’hui, madame Besson, l’apprécie sans vraiment la connaître, on ne peut pourtant pas dire qu’elle lui faisait bonne impression ; elle prend la parole : « Ida elle est de la famille… » mais elle note aussi ses gestes, ses obsessions. « À onze heures le soir, elle arrosait les fleurs. Allait venait dans l’appartement. » Ida lui répondait : « Je suis un oiseau de nuit, madame Besson », elle ne supportait pas la bienveillance. La narratrice est aussi Ida, le jeu des actrices fait des allers-retours entre distance et proximité, complicité et éloignement, hermétisme et obscurité. « La vie de Ida était sans problème. Sans cahier de comptes. Sans registre et sans notaire… Ida sans majuscule… Ida minuscule au milieu de tant d’autres… » On pense aux Bonnes de Genêt qui s’inventaient de nouvelles vies.

© Laurent Michelin

Derrière le tulle noir de la scénographie, la vie et la mort de Ida se dessinent à la craie blanche sur le sol d’ardoise, elle, qui peut-être « ne pense pas » parce que son monde est différent, « victime déchirée d’un drame caché, le dédoublement de la personnalité. » Dans un fauteuil, Ida est cette hydre a deux têtes. Elle porte, physiquement dans la mise en scène, son double sur le dos, masqué, tel une marionnette ; le déplacement des comédiennes, dans leur troublante duplicité, devient parfois animal. « Ne plus savoir qui je suis… » La partition de chacun des rôles s’opacifie et se superpose. À la fin, Ida cherche à en finir avec ce double.

Le parcours proposé par le metteur en scène, Laurent Michelin, tout de noir profond, est couleur du texte et couleur des idées de Ida, qui ne parlait jamais d’elle. « On sait ce qu’elle pense. Elle pense à sa mort. Elle avait des drôles d’idées, des idées noires pour tout dire… » Le jeu esquissé d’une vraie-fausse vie aux contours tremblés, emplit le plateau où se rejoue la présence face à la l’invisibilité d’être et à la mort. « Ce regard blanc, qui perce l’ombre qui voit le monde comme il est, c’est le regard de Ida, extra-lucide au fond du noir. » Mots et objets ritualisés, boursouflures du quotidien, paroles qui se heurtent au vide et tournent en boucle frappent, de plein fouet, le spectateur.

© Laurent Michelin

Je suis un oiseau de nuit a été créé en février à Nancy où travaille la compagnie En Verre et Contre Tout, co-fondée en 1999 par Laurent Michelin et Sophie Ottinger. Le metteur en scène développe un travail de création dans le lieu d’expérimentation et de rencontre qu’il anime, le LEM, pour le théâtre, les arts de la marionnette, les musiques et les écritures contemporaines. Ida, c’est aussi Hélène Bessette, libre et singulière, dans son combat pour la vie et pour l’écriture.

Brigitte Rémer, le 13 mai 2023

Avec : Christine Koetzel et Marion Vedrenne – construction masque et costumes Lucie Cunningham – regard extérieur Pascale Toniazzo. Ida ou le délire de Hélène Bessette est publié aux éditions Le Nouvel Attila. – Du 20 au 30 avril 2023, jeudi au samedi à 21h, samedi et dimanche à 16h30, Théâtre de l’Épée de Bois, 75012. Paris – métro : Château de Vincennes, puis Bus 112 et 201 – sites : www.epeedebois.com et www.enverreetcontretout.net

Futur proche

© Filip Van Roe

Chorégraphie Jan Martens, avec l’Opera Ballet Vlaanderen – Musique Pëteris Vasks (1946), Janco Verduin (1972), Graciane Finzi (1945), Anna S. Þorvaldsdóttir (1977), Erkki Salmenhaara (1941), Aleksandra Gryka (1977) – Clavecin, interprétation in situ Goska Isphording – à la Grande Halle de La Villette, dans le cadre de la saison Théâtre de la Ville/hors les murs.

Assis sur un très long banc, bel objet scénographique, les danseurs font face au public. Devant eux, la claveciniste et son majestueux instrument regardent aussi les spectateurs. Sur cet imposant plateau de la Grande Halle, le clavecin semble petit, mais le son lui, ne l’est pas, son amplitude est éblouissante. L’instrument est exploré dans toutes ses tonalités extravagantes et configurations jamais entendues.

Jan Martens s’est passionné pour le clavecin en regardant et en écoutant la grande interprète Elżbieta Chojnacka – née à Varsovie en 1939, disparue à Paris en 2017 – qui a inspiré les plus grands compositeurs contemporains, dont Ligeti, Xenakis, Górecki et d’autres. Il lui avait rendu hommage en juillet 2022 au Théâtre de la Ville, dans un solo qu’il chorégraphiait et dansait, Elisabeth Gets her way. C’est Goska Isphording qui, dans Futur proche, est au clavier et emporte magnifiquement danseurs et spectateurs. Des images vidéo la montrent, à un moment donné, jouant avec virtuosité et passion. L’image, vue du ciel, est impressionnante.

© Filip Van Roe

Après une introduction musicale, les danseurs se lèvent au fur et à mesure et se préparent comme dans le vestiaire d’un terrain de sport avant échauffement, déshabillage et habillage. Ils entrent dans les rythmes complexes de la partition, individuellement ou à plusieurs, puis par grappes, les bras en sémaphores, le corps syncopé. Marches, glissements et pirouettes, s’inscrivent dans l’espace. Demi-pliés, grands pliés. Un cercle de lumière apparaît. Une caméra capte des images. Les danseurs interprètent les propositions musicales, du lent au plus rapide, du calme à l’agité. La troupe parfois se rassemble pour un mouvement collectif ou en décalé. Des images s’affichent sur le manteau de scène, ainsi qu’un texte parlant d’environnement et d’écologie, sujet vital sur lequel le chorégraphe se penche aujourd’hui.

Plus avant dans le spectacle, les bancs se sont renversés, les danseurs ont apporté un à un des seaux d’eau. Puis une chaîne s’est formée pour ce passage d’eau de main à main, dans une multitude de seaux multicolores. Ils ont ensuite versé ces litres d’eau déposés, seau après seau, dans un grand bac qu’ils ont fabriqué et qui ressemble à un puits. Ils retirent shorts et bermudas, et en maillots de bain pénètrent dans l’eau, quatre par quatre, puis se sèchent après avoir pris chacun une serviette. L’image finale est forte : sur un bruissement de la forêt et une vidéo qui se morcèle, projetée sur les danseurs, on se trouve face à un monde défait et à une image climatique de mort.

Futur Proche a été créé en juillet 2022 dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes, avec l’Opera Ballet Vlaanderen où Jan Martens chorégraphe-phare de la scène belge, est artiste associé. Depuis une bonne dizaine d’années il a monté plus de vingt spectacles et énonce ici, par les dix-sept magnifiques danseurs dont deux jeunes, son inquiétude en termes de changements climatiques, de pandémies et de guerres. En même temps il table, pour le futur, sur la jeunesse comme promesse de réveil et de renouveau. Le grand écart qu’il propose, sorte de défi entre un instrument baroque et aristocrate, le clavecin, face au message et à la danse portés par les jeunes d’aujourd’hui, est un pari risqué, mais réussi.

Brigitte Rémer, le 13 mai 2023

© Filip Van Roe

Avec les danseurs de l’Opera Ballet Vlaanderen :  Zoë Ashe-Browne, Viktor Banka, Tiemen Bormans, Claudio Cangialosi, Morgana Cappellari, Brent Daneels, Matt Foley, Misako Kato, Nicola Leahey, Ester Pérez, Taichi Sakai, Niharika Senapati, Paul Vickers, Rune Verbilt, James Vu Anh Pham, Kirsten Wicklund – En alternance, les jeunes danseurs : Merel Amandt, Gaiane Caforio, Caroline Gratkowksi, Elodie Grunewad, Tito Zwaluw Janssens, Lisse Vandevoort. Scénographie Joris van Oosterwijk – création lumière Elke Verachtert – costumes Jan Martens, Joris van Oosterwijk – vidéo Stijn Pauwels – son Brecht Beuselinck – dramaturgie Tom Swaak – répétitrice de danse Tara Jade Samaya – conseils artistiques Carolina Maciel de França, Rudi Meulemans, Marc Vanrunxt,

Du 26 au 28 avril 2023, Grande Halle de La Villette, 211 avenue Jean-Jaurès. 75019, Paris – métro : Porte de Pantin –  site :  www.lavillette.com et www.theatredelaville-paris.com

Al Atlal – Chant pour ma mère / الأطلال

© Jean-Louis Fernandez

Un projet de Norah Krief, d’après le poème d’Ibrahim Nagi chanté par Oum Kalthoum sur une musique de Riad Al Sunbati – écriture et dramaturgie Norah Krief, Frédéric Fresson – vu au Théâtre 14, dans le cadre du Festival Re-Génération.

« Chère maman, Ma petite mère, Comme j’aimerais te serrer encore dans mes bras, te caresser les cheveux. Je cherche la liberté, la poésie, la fantaisie que tu as toujours eues, mais je me sens pauvre et vaine. Je te revois concasser au mortier ton café, le moudre fin comme de la farine tu me disais, le mettre dans ta zazoua sur le feu doux du kanoun, ajouter une goutte d’eau de fleur d’oranger ; tout ça dans notre jardin, devant la maison, à genou, soufflant sur les braises, ou remuant ton éventail tunisien, sifflotant, tranquille, à la recherche de sensations de plaisir. Parfois tu t’allongeais sur l’herbe, et tu rêvais bercée par les chants arabes qui s’échappaient des fenêtres grandes ouvertes du pavillon… » El-Atlal/Les Ruines, que chantait Oum Kalthoum faisait partie des favoris.

Nora Krief fait un retour sur image et sur cette période où la culture de sa mère, juive tunisienne de Sousse, d’origine italienne, immigrée dans la banlieue parisienne, était bien loin d’elle, où la langue arabe l’angoissait et l’agressait. Arrivée en France à l’âge de deux ans sa préoccupation était plutôt de s’intégrer à l’école et de passer inaperçue. Nora construisait sa vie, elle ne connaissait pas la nostalgie. Devenue actrice et tenant le rôle d’Œnone dans Phèdre(s) que montait Krzysztof Warlikowski sur un texte de Wajdi Mouawad en 2016, il lui fut demandé d’interpréter un extrait d’Al AtlalCet air, mythique dans tout le Maghreb et le Moyen-Orient fut pour elle comme un appel à la mémoire de sa mère et un écho au pays qu’elle avait enfoui. « Aujourd’hui j’ai besoin de chanter ce poème en entier, de retrouver la langue arabe et je décide d’en faire un temps de représentation, de concert, de théâtre musical » dit-elle.

Accompagnée de trois musiciens, Nora Krief rend un hommage à sa mère et à tous ceux qui, entre plusieurs cultures, ont du mal à se reconnaître. Le poème d’Ibrahim Nagui est écrit au présent, son adresse est directe, active et revendique la liberté. En 1960, Oum Kalthoum le chante devant le peuple égyptien, tout le Moyen-Orient est à l’écoute : « Je ne parviens pas à t’oublier toi qui m’avais séduite par tes discours si doux et raffinés… Mais où est donc passé cet éclat dans tes yeux… Mon désir de toi me brûle l’âme, et le temps de ton absence n’est que braises cuisantes… Rends-moi ma liberté, défais mes liens, j’ai tout donné, il ne me reste plus rien… »

Depuis des années Nora Krief travaille avec Frédéric Fresson, pianiste et compositeur, qui assure la direction musicale de ses spectacles. Ensemble, ils ont ré-interprété en 2015, les Sonnets de Shakespeare. Ici, elle s’adresse « à l’amour, aux pays, aux regrets, aux ruines de la vie. » Au début du spectacle les projecteurs comme cinq soleils sont braqués sur le oud solo. La chanteuse entre et parle avec sa mère, tout naturellement comme si elles étaient ensemble dans je jardin du pavillon de banlieue, vite devenu pour la mère une citadelle des rêves disparus. Deux autres musiciens se sont joints au soliste, côté jardin un joueur de daf, de oud et de guitare, côté cour le synthétiseur, les musiciens se répondent. Quand Nora Krief chante – et elle s’exprime aussi bien aujourd’hui en langue arabe – elle traduit de temps en temps le texte ou la traduction s’affiche sur un voile de tulle, derrière elle. La voix d’Oum Kalthoum, dite la quatrième pyramide d’Égypte, lui emboite parfois le pas.

© Jean-Louis Fernandez

Derrière elle, un rideau de scène fait de fils tendus qui ressemblent à la pluie, ou à des larmes, lui permet de disparaître à demi à certains moments pour chanter, et met la distance d’une grande scène entre elle et nous (scénographie de Magali Murbach qui assure aussi la création des costumes). Et quand elle est comme naufragée, comme le dit la chanson  « Ma tendresse envers toi me brûle les entrailles, chaque seconde laisse en moi une entaille, je me noie » on la voit couler, on la croirait dans les fonds sous-marins. » Quand elle revient, portant une élégante robe et un châle, elle décrit les habits de fête aux mille miroirs scintillants que portait sa sœur et poursuit son récit : « Un jour je me souviens qu’elle pleurait sur le bateau en s’éloignant du pays. » Et à sa mère, les regrets : « Les lieux où nous nous retrouvions me hantent, j’aurais voulu plus de temps pour toi. Je suis retournée voir notre pavillon, le saule pleureur n’est plus là, le jardin est devenu un parking. » Dans les mots de Nora Krief s’exprime la transmission d’un pays à l’autre, d’une génération à l’autre par la cuisine notamment : « Reviens un peu maman, j’ai oublié d’apprendre le couscous aussi, avec toi. Comme tu le faisais bien, pourtant je me souviens je t’aidais parfois, tu me disais on va mettre les épices, le curcumin, on va préparer la kemia, c’était trop bon, avec les navets crus marinés dans le citron ; et la harissa, et la méchouia avec les poivrons grillés dans la braise du kanoun. Les patatas bel kamoun… » Une émotion joyeuse est au rendez-vous.

© Jean-Louis Fernandez

Un peu plus tard les trois musiciens chantent en chœur accompagnés du daf, l’actrice ôte ses chaussures pour mieux danser. Puis elle invite chacun d’entre eux à prendre la parole, à dire son exil : le premier, Algérien, reprend l’anecdote des rideaux blancs à tringle de chemin de fer qu’elle avait évoquée, la tringle que tout le monde installait en France, à la maison, mais que ni Nora, ni lui dans son HLM de Dugny, n’avaient. Il évoque aussi son étonnement des patins qu’il fallait prendre pour ne pas salir le sol quand il allait chez les copains. Le second musicien, originaire de Deir ez-Zor dans le désert de Syrie où la guerre a fait rage entre 2010 et 2012, pense à sa maison détruite et à son oud fracassé : « Bokra/demain, nous rirons de cette comédie » a-t-il le courage de dire et il chante Bokra pour Nora. Le troisième, au synthétiseur, parle de sa nounou espagnole qu’il comprenait mieux que ses grands-parents du Périgord, de ses étés au Portugal et des couplets de flamenco qu’il fait entendre avec son instrument. Lucien Zerrad et Mohanad Aljaramani sont venus de Syrie, Mohanad Aljaramani est un percussionniste virtuose et familier du oud formé à la musique classique et à la musique orientale, à Damas. Lucien Zerrad, joue de divers instruments d’Orient et sait mêler les influences. Frédéric Fresson est pianiste et compositeur, il pratique aussi d’autres instruments. Le spectacle se termine sur une image d’Oum Kalthoum chantant Al-Atlal en concert entourée de ses musiciens, petit mouchoir blanc à la main comme toujours. L’image à demi effacée tremble sur le rideau-écran de projection.

© Institut du Monde Arabe

Dans le cadre du Festival Re-Générations une exposition itinérante sur Les Grandes Dames de la chanson arabe est aussi proposée, en partenariat avec l’Institut du Monde Arabe, excellent prolongement au spectacle. Elle traverse le temps de l’origine du chant en passant par les Almées et les Chikhat, au début du XXème avec l’avènement des comédies musicales au cinéma et de la chanson longue, Oghniya, représentée par Oum Kalthoum. « Ô mon cœur, ne demande pas où est passé l’amour. Il n’était qu’un château de mirages et s’en est allé. » Au-delà de la nostalgie, Nora Krief a l’énergie du présent, l’humour et le naturel qui transforment ce Chant pour ma mère en un hymne intemporel aux mères et à l’altérité.

Brigitte Rémer le 11 mai 2023

Avec : Norah Krief, Frédéric Fresson et en alternance les guitaristes Antonin Fresson et Lucien Zerrad, les oudistes Hareth Medhi et Mohanad Aldjaramani – création musicale Frédéric Fresson, Lucien Zerrad, Mohanad Aldjaramani – collaboration artistique Charlotte Farcet – traduction Khaled Osman – regard extérieur Éric Lacascade – création lumière Jean-Jacques Beaudouin – scénographie et costumes Magali Murbach – création son Olivier Gascoin avec Johann Gabillard – collaboration live et machines Dume Poutet aka Otisto 23 – coachaing chant oriental Dorsaf Hamdani – régie vidéo Julien Marrani – compagnie Sonnet – spectacle créé en mai 2017 au Festival Passages à Metz et au Festival Ambivalence(s) de Valence.

Vu en avril au Théâtre 14, au cours du Festival Re-Génération – 20 avenue Marc Sangnier. 75014. Paris – métro Porte de Vanves – site : www.theatre14.fr

Yé ! (L’eau)

© La Scala-Paris

Compagnie Circus Baobab, acrobates et danseurs originaires de Conakry, en Guinée – directeur artistique Kerfalla Bakala Camara – metteur en cirque et compositeur Yann Ecauvre – à La Scala/Paris, prolongé jusqu’au 10 juin.

Ils sont treize acrobates et danseurs originaires de Conakry, en Guinée, rejoints par quelques artistes d’autres pays d’Afrique de l’Ouest. Au départ, enfants de la rue formés aux arts de la scène en dialogue avec les meilleurs professionnels africains et français, dont Pierrot Bidon fondateur de la compagnie Archaos. Ils se sont rassemblés en 1998 au sein du Cirque Inextrémiste, co-fondé par Yann Ecauvre, aujourd’hui metteur en scène du spectacle, dans un moment où la Guinée cherchait à faire connaître son patrimoine traditionnel et ancestral et à le renouveler. Ils sillonnent aujourd’hui le monde avec Circus Baobab, avec pour mots clé énergie et solidarité.

© La Scala-Paris

Ils ont créé un scénario autour de l’eau qui forme la trame du spectacle, théâtralisant leurs interventions sur fond de bouteilles plastique vides compressées qui, à l’arrière-scène, jonchent le sol. Eau précieuse, si précieuse en Afrique, et qui crée des tensions entre les personnages convoitant l’eau du voisin, parfois la partageant comme un passage de témoin, toujours comme un défi dans ce vingt-et-unième siècle aride où l’environnement devient la carte maîtresse. en langue soso signifie eau dans la région de Guinée maritime. Eau secours ! crie-t-il dans leur langue des corps, travaillée à outrance et défiant toute gravité. Leur langage est celui du cirque, risqué, virtuose et l’eau est aussi celle des plages où ils se sont entrainés, sur le sable protecteur pour amortir la réception de leurs sauts et montées vertigineuses.

Ils sont danseurs, gymnastes et acrobates et développent avec force et adresse l’art ancestral du cirque basé ici sur des numéros de mains à mains, de portés, de voltige au sol et de construction de pyramides humaines. Deux femmes, Aïcha Keïta et M’Mahawa Sylla défendent leur place avec âpreté, aussi éblouissantes que chaque circassien de la troupe. Un contorsionniste, Amara Camara, impressionnant dans la désarticulation, démonte son corps, pièce par pièce. Il semble ne plus avoir de limites même quand le corps grimace. Un breakdancer, Fodé Kaba Sylla fait des prouesses et joue de son vocabulaire en danses urbaines. La troupe n’utilise aucun instrument, tout au mieux un tapis de réception pour récupérer certaines envolées, à un moment précis du spectacle. Tout est basé sur l’inventivité et la virtuosité.

© La Scala-Paris

À travers le scénario qui en régule l’intensité et les escarpements, se succèdent toutes figures nées de leur souplesse extravagante acquise par leur travail : exercices d’élévation et d’équilibre, lancer-porter sur un rythme rapide où le voltigeur exécute de nombreux sauts, propulsé par son porteur, tours et tourbillons enchaînés, incessants. Il y a de la parodie, de la performance, des pirouettes, rondades et flic-flac, sauts et saltos acrobatiques périlleux, avant-casse-cou, arrière-salto-mortale, vrilles, roulés aux rythmes endiablés. Ils portent sur les épaules, les mains, les jambes, les pieds, la tête, exécutent des colonnes, les hommes du dessous sont massifs, les envolé(ées) voltigeurs-voltigeuses sont oiseaux. Ils sont voleurs de ciel dans leurs élévations pyramidales. Nous sommes aux limites de l’équilibre avec de l’humour, de la solidarité et de la fraternité, aucun temps mort. À la fin du spectacle ils partagent leurs bouteilles d’eau avec le public avant de se retirer, en beauté. Ils sont courageux et magnifiques.

La démarche de cirque social impulsée dès la création de la troupe et aujourd’hui par Kerfalla Bakala Camara, directeur artistique de Circus Baobab et par l’atypique metteur en cirque Yann Ecauvre, fait penser à celle qu’avait eue Teresa Ricou à Lisbonne il y a une quarantaine d’années quand elle avait fondé le cirque Chapitô, dont le travail se poursuit. Ces démarches d’utopies soignent le monde si mal en point, leur outil est d’inclusion sociale. Circus Baobab fut grand finaliste de La France a un incroyable talent, en 2022. La troupe cherche actuellement des fonds pour créer une école du cirque à Conakry et donner leur chance à ceux qui ne sont pas toujours allés à l’école, d’accomplir leur rêve et de bâtir un avenir. Les acrobates-danseurs ont avant tout le sens du collectif et se considèrent comme une famille, la conjugaison de leurs talents est une belle leçon de vie.

Brigitte Rémer, le 10 mai 2023

Avec : Bangoura Hamidou, Bangoura Momo, Camara Amara Den Wock, Camara Bangaly, Camara Ibrahima Sory, Camara Moussa, Camara Sekou, Keita Aïcha, Sylla Bangaly, Sylla Fode Kaba, Sylla M’Mahawa, Youla Mamadouba, Camara Facinet – intervenant acrobatique Damien Drouin – compositeur Jeremy Manche – chorégraphe Nedjma Benchaïb – costumière Solène Capmas – création lumière Clément Bonnin – régisseur Général Christophe Lachèvre – producteur Richard Djoudi – diffusion Camille Zunino, Temal productions.

Du 14 avril au 10 juin 2023, du mardi au samedi à 21h, Le dimanche à 17h. Relâche dimanche 16 avril – à La Scala-Paris, 13 boulevard de Strasbourg. 75010. Paris – site : www.lascala-paris.fr – tél. : 01 40 03 44 30 – En tournée, au Printemps des Comédiens de Montpellier, Amphithéâtre du Domaine d’O, lundi 12 et mardi 13 juin 2023.

Résistance(s)

© Compagnie Nomades.

Texte, mise en scène et scénographie Jean-Bernard Philippot, compagnie Nomades – au Théâtre de l’Épée de Bois, Cartoucherie de Vincennes.

Il y a des rails au sol et une barrière bicolore semblable à celles qui ferment les passages à niveau manuel, blanche et rouge. Cette frontière délimite deux espaces, deux pays, la France et l’Allemagne : côté cour, on est en Picardie avec Doucette et son père, cheminot, une grande tendresse circule entre eux d’autant que la mère est morte ; côté jardin, on est à Munich avec Sophie Scholl, son frère Hans et son père. On est en 1943, on suit l’histoire en miroir de ces deux jeunes filles qui ne demandaient qu’à vivre, de leur engagement, de leurs destins. Fusent les mots de la guerre – Pétain, Vichy, martyrisés, Hitler, tziganes, juifs, dénonciation et délation, ici Londres. Même désarroi de part et d’autre, mêmes luttes.

© Compagnie Nomades.

La scénographie se compose de triangles mobiles, aux toiles tendues, qui permettent des jeux d’ombres et quelques images projetées. Ces figures servaient de marquage pendant la guerre et selon leur couleur, rouge, vert, jaune, bleu, catégorisait telle ou telle classe de population à surveiller, voire à éliminer tels prisonniers politiques, homosexuels, apatrides etc. Deux triangles deviennent une étoile de David. On est au cœur de la seconde guerre mondiale. L’auteur, Jean-Bernard Philippot, colle à l’Histoire et conserve les prénoms et les noms de ceux qui ont vraiment existé. Ainsi Hans Scholl et Alexander Schmorell qui, à l’été 1942, rassemblent un groupe de résistants allemands contre le régime nazi, composé de quelques étudiants et de proches. Son nom, La Rose Blanche/Weiße Rose. IIs passent à l’action en rédigeant les premiers tracts qui appellent à la résistance et se référent aux grands poètes comme Goethe – « Il faut braver toutes les forces contraires », Novalis, Schiller etc. Ils envoient ces tracts aux intellectuels, écrivains et professeurs d’université leur demandant de les reproduire et de les diffuser, ils démultiplient leur geste et actions de résistance.

Sophie Scholl, sœur de Hans, très vite les rejoint et devient le pilier de La Rose Blanche. Elle se raconte et regarde le chemin parcouru : dans l’enfance elle avait voulu faire partie des Jeunesses hitlériennes, comme de nombreux enfants allemands et contre l’avis de son père, elle reconnaît s’être trompée. Elle raconte la prise de pouvoir par Hitler et cette euphorie du début, puis la prise de conscience, dès lors le cliquetis de la machine à écrire, le bruit de de la ronéo qui tourne. On la voit avec Hans et Alexander écrire et tirer les tracts, les répartir entre les étudiants qui prendront le train pour les diffuser dans différentes villes d’Allemagne. Leur mot de passe : Liberté ! « Il faut indiquer clairement que La Rose Blanche n’est à la solde d’aucune puissance étrangère » ajoute Sophie qui, elle aussi, part pour la distribution, et plus tard se fait attraper par la police de son pays.

© Compagnie Nomades.

Protégée par son père et devenue institutrice, Doucette de son côté entre petit à petit dans l’Histoire par la compréhension des dénonciations, surtout quand elle comprend que son père a caché Jeanne, une amie juive et qu’il doit à son tour s’effacer, disparaître. Code de reconnaissance commun : les feuilles tombent en automne. Le nazisme se fait de plus en plus féroce, elle en rappelle les signes annonciateurs à commencer par la crise économique et sociale des années 30, évoque le Front Populaire, une belle utopie… La police française sous Pétain secondé par Laval, principal maître d’œuvre de la politique de collaboration avec l’Allemagne nazie, entre dans les classes arracher les enfants dénoncés à leurs bancs d’école, à leurs apprentissages, à la vie. Les délateurs rôdent, à commencer par un certain Boulard. Des Boulard, il y en a partout.

Le parcours de Sophie et celui de Doucette s’écrivent en canon, se télescopent, parfois se rejoignent au-delà de la barrière/frontière : Papa était…raconte Doucette, « cheminot. Il en était fier. J’adorais me promener le long des rails avec lui. » Mon père était… dit Sophie « le maire de Forchtenberg… un humaniste et un progressiste convaincu. » De part et d’autre, on voit les jeunes femmes grandir dans leurs convictions d’opposition, leurs actions de militantes, leur volonté d’arrêter la guerre et de construire un monde équitable. Sophie sera arrêtée et tentera de nier sa participation avant de s’opposer frontalement au SA chargé de l’enquête et même de le provoquer. Engagée de son côté, Doucette sera à son tour arrêtée. Interrogatoires, peine de mort pour la première, déportation pour la seconde.

© Compagnie Nomades.

« Je suis dans un train bondé qui part. On se serre. On étouffe, on respire tant bien que mal…Je m’appelle 3-1-8 » et Doucette sème des messages sur la voie ferrée comme autant de petits cailloux blancs espérant que son père les trouvera. Mais lui fut aussi arrêté pour avoir caché l’amie juive puis exécuté. Une balle claque. « Papa !!… Partisan franc-tireur épris de liberté pétrifié par des pseudo-patriotes… » Adieux aux parents pour Sophie, avant la guillotine : « Ne vous inquiétez pas. Je referais les choses exactement de la même manière » leur dit-elle, continuant à défier ses geôliers. Mort de Jeanne dans les bras de Doucette, les deux femmes se sont retrouvées à Auschwitz. La pièce pourtant se termine sur l’espoir avec le poème de Paul Eluard, Liberté, énoncé en duo par Sophie et Doucette. Ce poème fut écrit clandestinement, en 1942 et parachuté sous forme de tracts à des milliers d’exemplaires par les avions anglais, au-dessus de la France occupée : « Sur mes cahiers d’écolier, Sur mon pupitre et les arbres, Sur le sable sur la neige, J’écris ton nom… » Il se ferme sur ce mot qui a donné du sens à leur vie : « et Je suis né pour te connaître, Pour te nommer, Liberté. »

© Compagnie Nomades.

L’angle de vue de l’auteur et metteur en scène, Jean-Bernard Philippot face à son sujet est judicieux et permet de montrer la similitude des situations, des souffrances, de l’engagement, de l’absurde. De part et d’autre de la frontière deux jeunes femmes prennent position et mettent en jeu leur vie pour que la paix et la liberté l’emportent. Les deux actrices sont remarquables dans la défense de leurs convictions, Sophie/Anne Maceda et Doucette/Marie Recours-Bellessort, portées par la troupe où chacun dans son rôle – frère, pères, flics, amis – écrit un morceau de la partition, historique et théâtrale. Le spectacle est prenant, l’émotion circule, d’autant quand on traite de destins individuels au cœur de la grande Histoire et quand on met le doigt sur la plaie, blessures et responsabilités partagées. Face à l’Histoire on sort sonnés, mais le rappel est salutaire à travers la figure emblématique de ces deux jeunes résistantes, de leur obstination au risque de leur vie. « Quelle connerie la guerre » disait Prévert.

© Compagnie Nomades.

Fondée par Jean-Bernard Philippot et Jean-Louis Wacquiez en 1999, la compagnie Nomades avait déjà travaillé sur le sujet de la guerre, en l’occurrence de la Grande guerre (1914/1918) en présentant en 2018 pour le centenaire de l’armistice une grande fresque historique qui avait mobilisé plus d’une centaine d’acteurs et techniciens, Le Chemin des Dames, spectacle également joué dans les deux langues, française et allemande. La compagnie a par ailleurs présenté en 2022, Germinal, d’après Émile Zola, au Familistère de Guise, situé dans l’Aisne – où elle est implantée – modèle de l’utopie sociale et architecturale construit par Jean-Baptiste André Godin au milieu du XIXème. Plus de cent trente acteurs étaient, là aussi, mobilisés. Jean-Bernard Philippot écrit également pour le jeune public ainsi que pour les ados dans le cadre de la prévention. Ses textes et ses spectacles sont toujours porteurs du sens de l’Histoire, ou sont engagés dans la défense s’un point de vue, d’idées. La compagnie Nomades travaille en partenariat avec la Ligue de l’Enseignement de l’Aisne, et Résistance(s), labellisé par la Licra, est joué alternativement en français et en allemand. « Sophie s’apprête à prendre un train pour aller distribuer ses tracts politiques à Stuttgart. Très loin de chez elle, à l’Est, l’autre jeune fille sort d’un train » résume l’auteur. « Elle a désormais un numéro sur le bras. Un mot les réunit : Résistance ! »

Brigitte Rémer, le 8 mai 2023

© Compagnie Nomades.

Avec : Anna Maceda, Agathe Heildelberger, Alex Gangl, Marcel Korenhof ou Bertrand Mahé, Lili Markov, Charles Morillon ou Mickaël Winum, Marie Recours-Bellessort, Clément Bertrand, Raphaël Plockyn – Musique en direct Agathe Heildelberger, violon – Marcel Korenhof ou Bertrand Mahé, accordéon – Clément Bertrand, piano/guitare – lumières Maxime Aubert – technique Lucas Dorémus – administration Julien Dubuc.

Du 4 au 28 mai 2023, les jeudis et vendredis à 19h, samedis et dimanches à 14h30, en français, les samedis à 19h en allemand – au Théâtre de l’Épée de bois, Cartoucherie de Vincennes. Route du Champ de Manœuvre – 75012. Paris – métro Château de Vincennes, puis bus 112 – site : www.epeedebois.com – tél. : 01 48 08 39 74 et aussi : www.compagnienomades.net – email : compagnie.nomades@gmail.com

Ré-enchanter le Louvre 

© musée du Louvre – Francesco Mazzola

Nouvelle programmation des spectacles vivants du musée du Louvre, d’avril à décembre 2003 – Laurence des Cars, présidente-directrice, Luc Bouniol-Laffont, directeur de l’Auditorium et des Spectacles.

« Le Louvre est ce lieu extraordinaire où le passé, éclairé, discuté, questionné, peut donner davantage de profondeur au présent » tels sont les mots d’accueil de la présidente-directrice du musée pour le lancement de cette séquence et l’annonce d’un nouveau cycle d’activités artistiques. Le musée n’en est pas à son coup d’essai, on se souvient par le passé de sa carte blanche à Patrice Chéreau. Il est aussi une école du regard, de l’émotion et de la sensibilité, son action est polyphonique.

Autour des fondamentaux, les artistes d’aujourd’hui s’emparent du lieu. Musiciens, chorégraphes et metteurs en scène le feront vibrer et donneront l’envie aux visiteurs, notamment ceux de la proximité, d’en explorer la richesse entre musiques actuelles et musique classique, danse et cinéma, théâtre et performances. Pendant six mois, l’Italie sera à l’honneur, un partenariat d’une envergure inédite s’est noué entre le musée de Capodimonte, l’un des plus importants d’Italie, situé à Naples, et le Louvre. Différentes expositions s’y tiendront dans plusieurs lieux du musée, entre le 7 juin 2023 et le mois de janvier 2024, faisant dialoguer les œuvres des deux musées ; des événements festifs et pluridisciplinaires, concerts, spectacles et projections accompagneront cette grande manifestation, Naples à Paris.

© musée du Louvre – Feu ! Chatterton

Pour lancer le nouveau format et l’ouverture du musée aux musiques actuelles, le groupe Feu ! Chatterton, fondé en 2010 par Arthur Teboul (voix et texte) est en résidence au Louvre du 31 mars au 25 mai et y déploie son inventivité dans différent types d’intervention, avec Clément Doumic et Sébastien Wolf (guitare, clavier), Antoine Wilson (basse, clavier) et Raphaël de Pressigny (batterie) : les nocturnes du vendredi (14, 21 et 28 avril), des masters class (22 mai) et trois soirées-concerts de sortie de résidence (22, 23 et 25 mai), leur création sur site après deux mois de gestation dans ce cadre hors norme.

Les Étés du Louvre se dérouleront du 16 juin au 20 juillet dans quatre lieux différents du musée. L’Orchestre de Paris sous la direction de Klaus Mäkelä jouera des œuvres de Stravinski, Puccini Gabrieli et Ligeti le 21 juin pour la Fête de la Musique, sous la Pyramide. Emmanuel Demarcy-Mota présentera avec la troupe du Théâtre de la Ville, du 28 juin au 3 juillet, un spectacle sur l’auteur napolitain Eduardo de Filippo – dont il vient de monter La Grande Magie – dans la Grande Galerie et sur la scène aménagée de la splendide Cour Lefuel à la double rampe, ancienne Cour des Écuries où se faisait l’entrée des carrosses. Entre réalisme magique et poésie du quotidien, les spectateurs auront accès à l’univers singulier de l’auteur dans les décors d’une Naples d’après-guerre, capitale cosmopolite d’un univers en ruine. Au Jardin des Tuileries les 1er et 2 juillet, Pulcinella, cousin de Polichinelle, donnera rendez-vous aux familles à l’occasion d’un week-end festif et dans la majestueuse Cour Carrée du Louvre, Cinéma Paradiso proposera ses projections, du 6 au 9 juillet.

© Ballet de Lorraine – Static Shot

Les Étés du Louvre se poursuivront avec Le Ballet de Lorraine Centre chorégraphique national qui présentera les 10 et 11 juillet dans la Cour Lefuel une chorégraphie de Maud Le Pladec, Static Shot sur une musique de Pete Harden et Chloé Thévenin. Un concert de clôture des Étés du Louvre se tiendra le 20 juillet sous la Pyramide avec le groupe Nu Genea Live Band, ambassadeurs de la nouvelle scène musicale napolitaine et avec la chanteuse française Célia Kameni et ses musiciens.

Entre les mois de septembre et décembre 2023 Le Louvre programme différents temps forts, avec une riche programmation : du 5 au 14 octobre, le chorégraphe Jérôme Bel et l’historienne de l’art Estelle Zhong Mengual proposeront un spectacle intitulé Danses non humaines, puisant dans les pièces de différents chorégraphes et seront face à la Victoire de Samothrace dans le grand escalier du Louvre. Plusieurs concerts classiques seront présentés à l’Auditorium Michel Laclotte avec Naples en musique.

Par ailleurs Isabella Rossellini, marraine du Festival et Paolo Sorrentino auront carte blanche, du 17 au 26 novembre, pour la programmation de la manifestation Naples dans le regard des cinéastes où seront projetés des films classiques et contemporains, italiens et étrangers. La clôture de l’exposition Naples à Paris se fera au cours d’une Nuit Napoli, le 15 décembre, sous la Pyramide avec le chanteur et multi-instrumentiste Vinicio Capossela et le chorégraphe Mourad Merzouki. Enfin, trois concerts viendront révéler la richesse musicale attachée à la cathédrale Notre-Dame de Paris, les 8 décembre 2023 (Musiques au temps des cathédrales), 12 janvier 2024 (Requiem de Fauré) et 26 janvier 2024 (Maîtres de Notre-Dame).

 Par les partenariats avec différentes institutions culturelles, la programmation se diversifie et permet de remettre Le Louvre au cœur de la cité. Force de proposition, le musée s’est donné pour objectif de faire que les publics de proximité se réapproprient les biens culturels qui parfois les intimident dans un dialogue avec l’art d’aujourd’hui, sous toutes ses formes.

Brigitte Rémer, le 6 mai 2023

Programmation des événements et activités artistiques et culturelles, du mois d’avril au mois de décembre 2023. Consulter le calendrier sur le site du musée : www.louvre.fr, rubrique événements, activités.

La Belle

© Alice Blangero

Chorégraphie Jean-Christophe Maillot, d’après La Belle au bois dormant de Charles Perrault – musique Piotr Ilitch Tchaïkovski – scénographie Ernest Pignon-Ernest – par les Ballets de Monte Carlo, au Grimaldi Forum.

Le prologue, qui permet d’entrer de plain-pied dans le spectacle, projette une image sur un écran central qui ensuite disparaît. Allongé sur une méridienne, le Prince est plongé dans un livre, La Belle au bois dormant, ce conte populaire aux lectures plurielles rapporté entre autres par Charles Perrault en 1697 et par les frères Grimm en 1812, et qui a prêté à diverses interprétations. Sortant du cadre et de l’écran, le Prince poursuit sur scène sa lecture et s’endort. Il nous prend par la main et nous entraîne dans son rêve.

Le spectateur est alors catapulté dans le monde du merveilleux, sorte d’Alice tombant dans le terrier du lapin blanc, autant que dans celui de l’inquiétude : le monde de la Belle et des fées marraine et son envers le monde des Crochus, dont le chef de file est Carabosse. Beauté, grâce et raffinement d’un côté, magie noire et sortilèges maléfiques, de l’autre. D’un côté, Pétulants et Prétendants, de l’autre le Cauchemar. La scénographie se met en place et délimite avec habileté les espaces, en haut celui de la Belle et des siens sur fond bleu azur, qui, tel un pont-levis descend en pente douce à la rencontre du Prince et de tous les dangers, en contrebas, celui du Prince et de ses assistants, Carabosse en tête comme expression du mal, assisté de sa négociatrice, la fée Lilas et de ses Crochus. Les danseurs mettent en place les éléments de scénographie et le rideau se baisse entre chacun des trois actes.

© Alice Blangero

Le chorégraphe, Jean-Christophe Maillot, également directeur des Ballets de Monte Carlo, retrace en filigrane les étapes de la vie d’une femme et les obstacles qu’elle se doit d’affronter. Dans la première partie on fête en même temps que la Reine et le Roi l’attente de la Belle, tout est vif et coloré, naïf et populaire. Explose la vie et le burlesque des Pétulants. À son arrivée, la Belle est fêtée par des calligraphies de ballons blancs, des fées-papillons, des couleurs pastel tant dans la lumière qui sculpte les espaces que dans les somptueux costumes. De l’autre côté de cette ligne imaginaire, Carabosse et ses Crochus aux longs doigts prolongés de griffes, comme des guetteurs, distribuent la panique dans l’univers sombre qu’ils habitent. Tel Méphistophélès, Carabosse jette un sort à la Belle, annonçant qu’elle « se percerait la main d’un fuseau et qu’elle en mourrait. » L’image est ici en noir et blanc et les costumes, dont certains sont en métal, semblent des prisons.

© Alice Blangero

Dans la seconde partie, vêtue d’une magnifique robe qui lui sera arrachée et d’un collant-dentelles blanc et lamé or, la Belle descend de son Olympe dans une immense bulle transparente, sa zone de protection et de limpidité. Les Prétendants, jeunes hommes pleins d’énergie, en jeans et vestes de couleurs foncées déclinées, s’égaient en une danse expressive, à la manière de West Side Story. La Belle rencontre une fileuse et lui prête main forte. Comme l’écrit la légende, elle se pique le doigt et s’évanouit « mais au lieu d’en mourir, elle tombera seulement dans un profond sommeil qui durera cent ans, au bout desquels le fils d’un roi viendra la réveiller. » La Belle est alors installée dans le plus bel appartement du palais, là où le jeune Prince se rendra, en héros, submergé par l’envie de la ranimer.

Dans la troisième partie, l’éblouissement réciproque est au rendez-vous, le Prince épouse la Belle et ils ont des enfants, pourtant Carabosse et les Crochus veillent, prêts à les détruire. Son père mort, le Prince couronné devenu Roi part à la guerre, laissant la Régence à sa mère et lui confie femme et enfants. Dans le conte, la belle-mère/ogresse/Carabosse fomente de tuer cette Belle, trop Belle, en amenant une cuve de serpents dans l’idée de l’y jeter ; elle n’en a pas le temps car le Roi aussi vite revenu contredit ce plan famélique. Sa mère, démasquée et enragée, s’y jette et s’y fait dévorer. Dans la chorégraphie, où la Fée Lilas et Carabosse sont des personnages charnières, la fin est de combat. Carabosse provoque le Prince. L’écran, de retour, montre la mer recouvrant le visage de sa Belle. Le Prince, sur sa méridienne, s’éveille et sort de son cauchemar. Avec lui, La Belle se fraye un chemin. Ensemble, ils pénètrent dans l’écran comme on entre dans la mer.

© Alice Blangero

Dans sa construction chorégraphique, Jean-Christophe Maillot reste près du récit original et s’éloignant de tout manichéisme, montre la complexité des choses. Il n’occulte rien du côté féroce du conte et s’intéresse à sa lecture psychanalytique et au processus initiatique mis en lumière par Bruno Bettelheim, tout en travaillant sur l’esthétique du merveilleux. Il a créé La Belle il y a une vingtaine d’années en une première version, en a repris la base chorégraphique qu’il a fait évoluer en fonction des danseurs d’aujourd’hui. Il lui donne un éclat, personnel et singulier en s’entourant d’une équipe artistique hors pair et en guidant les danseurs avec exigence et professionnalisme. « Son travail sur La Belle est comparable à celui d’un archéologue : retrouver le conte original sous les couches de sucre qui l’ont recouvert au gré des versions des uns et des autres. » La Belle, interprétée par Olga Smirnova, invitée du Het Nationale Ballet basé à Amsterdam, est éblouissante et tous les danseurs avec elle sont à saluer, solistes et personnages du collectif. Autour, scénographie, lumière et costumes sont autant de langages qui accompagnent le geste chorégraphique qui, à partir des figures classiques, ouvrent sur les constellations du conte et de la magie.

La scénographie d’Ernest Pignon-Ernest accompagne le charme et la puissance de la chorégraphie et permet à la lune de descendre, aux Pétulants de faire des glissades sur un praticable en pente, aux danseurs de déplacer paravents et structures architecturales et sculpturales, dans les volumes qu’il a élaborés. Il détaille son travail : « Le décor a été finalisé après plusieurs semaines de travail avec Dominique Drillot qui a créé les lumières dans La Belle. Il a fait en sorte que les différents espaces esthétiques soient parfaitement lisibles. Lisse et froid avec des ombres portées dans l’univers du Prince, rond et coloré chez La Belle. »

© Alice Blangero

Avec la même précision et réflexion, Ernest Pignon-Ernest réalise des œuvres éphémères dans la rue depuis de nombreuses années, son œuvre, multiforme, est virtuose : « Les lieux sont mes matériaux essentiels, j’essaie d’en comprendre, d’en saisir à la fois tout ce qui s’y voit : l’espace, la lumière, les couleurs et simultanément, tout ce qui ne se voit pas ou ne se voit plus : l’histoire, les souvenirs enfouis. À partir de cela j’élabore des images, elles sont ainsi comme nées des lieux dans lesquels je vais les inscrire. » Soulignant les différents espaces, les lumières participent à l’écriture des séquences, crues ou feutrées, pleines d’ombres ou d’éclats qui démultiplient les lieux selon l’univers dans lequel on se trouve, celui du Prince ou celui de La Belle, lumières pastel ou dégradés de gris, de blanc et ronds de lumière crue. Les costumes de Philippe Guillotel et Jérôme Kaplan sont aussi un des atouts majeurs du merveilleux qui se construit et se contredit avec Carabosse et les Crochus : la légèreté de l’univers de La Belle où règnent grâce et sobriété, voiles et taffetas, fait face au poids de l’univers du Prince avec ses cotes de maille et le versant massif de ses costumes.

© Alice Blangero

Les Ballets de Monte Carlo ont pour source l’implantation à Monaco pendant deux décennies des Ballets Russes de Serge de Diaghilev, à partir de 1909. À sa mort, en 1929, la compagnie est dissoute et plusieurs chorégraphes tentent de la faire renaître sous diverses appellations, avant qu’elle ne disparaisse définitivement, en 1951. En 1985, S.A.R. la Princesse de Hanovre souhaite relancer cette tradition de la danse à Monaco. Ghislaine Thesmar et Pierre Lacotte, suivis de Jean-Yves Esquerre dirigent les Ballets de Monte-Carlo, Christophe Maillot est à leur tête depuis 1993. Formé à l’École internationale de Danse Rosella Hightower il a dansé au Ballet de Hambourg pendant cinq ans, engagé par John Neumeier. Après un accident qui lui interdit la danse, il devient chorégraphe-directeur au Ballet du Grand Théâtre de Tours en 1983, où pendant dix ans il monte une vingtaine de ballets et crée un festival de Danse, Le Chorégraphique. Il crée pour les Ballets de Monte Carlo en 1987 Le Mandarin merveilleux qui a fait date, avant d’y être conseiller artistique puis d’y entrer comme chorégraphe-directeur. Il ouvre de nouvelles pistes aux danseurs et y crée plus de trente ballets dont plusieurs sont entrés au répertoire des grandes compagnies internationales. Il invite par ailleurs de prestigieux chorégraphes dont Lucinda Childs, William Forsythe, Jiri Kylian, Karole Armitage, Marie Chouinard, Sidi Larbi Cherkaoui, ouvrant autant de fenêtres à la cinquantaine de danseurs qui forment les Ballets, ainsi qu’au public. La danse à Monaco est aujourd’hui un triptyque : les Ballets de Monte Carlo, le Monaco Dance Forum créé en 2000 et devenu une vitrine internationale de la danse, et l’Académie Princesse Grace, qui en est  l’axe de formation.

La force de Jean-Christophe Maillot est de faire se côtoyer tous les arts – arts de la scène et arts visuels, théâtre et danse, musique et littérature, là est son talent et la force artistique de la Compagnie. Il accompagne les danseurs des Ballets de Monaco dans de superbes réalisations. La Belle en est un temps fort du printemps chorégraphique, à Monaco.

Brigitte Rémer, le 5 mai 2023

Avec/L’univers de la Belle – La Belle : Olga Smirnova/Guest-Het Nationale Ballet – la Reine Marianna Barabas – le Roi Alvaro Prieto – les Trois Fées : Juliette Klein, Lydia Wellington, Ashley Krauhaus – les Trois Gardes : Francesco Mariottini, Cristian Assis, Francesco Resch – les Pétulants : Anissa Bruley, Adam Reist ; Taisha Barton-Rowledge, Koen Havenith ; Hannah Wilcox, Daniele Delvecchio ; Elena Marzano, Luca Bergamaschi ; Gaëlle Riou, Michael Grünecker ; Kathryn Mcdonald, Alexandre Joaquim – les Prétendants : Francesco Resch, Simone Tribuna, Francesco Mariottini, Lennart Radtke, Daniele Delvecchio, Koen Havenith, Christian Tworzyanski – Avec/L’univers du Prince – La Reine Mère/Carabosse : Jaat Benoot – le Roi : Matèj Urban – le Prince : Alexis Oliveira – la Fée Lilas : Mimoza Koike – les Crochus : Ksenia Abbazova, Kizuki Matsuyama ; Candela Ebbesen, Lennart Radtke ; Portia Soleil Adams, Cristian Assis – le Cauchemar : Kathryn Mcdonald, Lydia Wellington, Elena Marzano, Hannah Wilcox, Luca Bergamaschi, Kizuki Matsuyama, Alexandre Joaquim.

Chorégraphie Jean-Christophe Maillot – Musique actes I, II et III Piotr Ilitch Tchaïkovski, The Sleeping Beauty, orchestre du Kirov direction Valery Gergiev ; acte III Piotr Ilitch Tchaïkovski,, Roméo et Juliette, Ouverture 1812, Orchestre philharmonique de Berlin, direction Claudio Abbado –  Scénographie Ernest Pignon-Ernest – Costumes, Philippe Guillotel et  Jérôme Kaplan – Lumières Dominique Drillot – Vidéo, Mathieu Stefani, Rémi Lesterle, Gregory Sebbane – Vu le 30 avril 2023, Salle des Princes, Grimaldi Forum de Monte Carlo, Monaco.

Alexandrie – Futurs antérieurs

© Brigitte Rémer

Exposition – Commissariat pour le volet antique : Arnaud Quertinmont, conservateur des antiquités égyptiennes et proche-orientales au Musée royal de Mariemont – Nicolas Amoroso, conservateur des antiquités grecques et romaines au Musée royal de Mariemont – Commissariat pour le volet contemporain : Edwin Nasr, écrivain, commissaire indépendant et chercheur – Sarah Rifky, conseillère curatoriale, commissaire à l’Institute for Contemporary Art de l’Université Virginia Commonwealth – conservateur référent Mucem : Enguerrand Lascols – scénographie Asli Çiçek, assistée de Maxime Descheemaecker – Au MUCEM-Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée – Derniers jours, jusqu’au 8 mai 2023.

C’est une promenade douce au cœur du Mucem à laquelle Alexandrie d’Égypte nous invite. Douceur par la gestion des espaces de l’exposition où dialoguent traces archéologiques et œuvres contemporaines d’une part, par la liberté architecturale de décloisonnement et la beauté du musée construit par Rudy Ricciotti, d’autre part. L’un des enjeux de l’exposition Alexandrie – Futurs antérieurs et son concept, tel que voulu par les commissaires, est de « créer des ponts entre l’Antiquité et l’époque contemporaine. » Loin des stéréotypes, par le choix des deux cents œuvres et objets issus des plus importantes collections muséales européennes, le parcours raconte l’histoire singulière d’une ville mythique dans l’imaginaire collectif, Alexandrie, dans le contexte de la grande Histoire. Elle met en perspective les Futurs antérieurs, titre de l’exposition sur lequel les commissaires s’expliquent : « Il fait écho aux récits dominants d’Alexandrie. Les civilisations et les formations politiques successives ont projeté sur la ville des visions du futur qui ne se sont jamais concrétisées. Repensés à maintes reprises, ces futurs antérieurs caractérisent la culture matérielle de la ville et son environnement bâti… Ils font également référence aux multiples couches temporelles d’Alexandrie à travers des objets couvrant plusieurs siècles d’histoire, auxquels sont associées des œuvres d’art contemporain qui interrogent le temps historique et imaginé… »

À partir des descriptions littéraires de la ville et de son urbanisme, l’exposition en montre les infrastructures dans ses lieux de pouvoir, de savoir et de culte, puis s’intéresse aux habitants et montre son rayonnement dans le monde en présentant notamment des vestiges byzantins et arabo-islamiques. La première partie de l’exposition parle de la Fondation d’Alexandrie, haut lieu de l’Antiquité, et de sa création par Alexandre le Grand en 331 avant J.C. avant que les Ptolémées, ayant obtenu l’Égypte en partage, ne la choisissent pour ville-capitale et y règnent pendant près de trois siècles, la transformant en une ville multiculturelle. L’exposition présente des artefacts s’étendant sur une période de plus de sept siècles allant jusqu’à l’avènement du christianisme, en 381 après J.C. et jusqu’à la destruction du grand temple de Sarapis. Du Sérapéum, il ne reste dans l’espace archéologique d’Alexandrie que la Colonne de Dioclétien, en granit rouge d’Assouan, appelée Colonne de Pompée, surmontée d’un chapiteau corinthien. De cette période, l’exposition montre des peintures comme celle de François Schommer réalisée en 1878, Auguste au tombeau d’Alexandre – même si l’emplacement du tombeau reste à ce jour inconnu ; elle met en exergue les bâtiments emblématiques de la ville, notamment le Phare de 135 mètres de haut construit comme un fanal pour la navigation, ici dessiné à l’encre de couleurs, dans un livre datant de 1410 écrit sur parchemin, Mudjmal al-tavârîh, et représenté par une grande maquette constituée de trois étages avec sa base carrée, une colonne octogonale et une petite tour cylindrique surplombée d’une divinité. Détruit par un tremblement de terre, sur son emplacement sera érigé au XVème siècle le Fort de Qaitbay, du nom du sultan mamelouk qui le fera construire. Une statue d’Isis à la voile, souvent associée au Phare, marbre du Ier/IIème siècle après J.C. montre les plis du drapé et le mouvement de la dentelle sculptée ; à l’origine, la Déesse tenait des deux mains une voile gonflée par les vents.

Jasmina Metwaly (2)

Cette première partie d’exposition évoque aussi la puissance maritime d’Alexandrie, le rôle économique et social de son port abritant l’une des plus puissantes flottes de la Méditerranée antique, point de convergence des routes commerciales. Elle présente des cartes, notamment une de l’Alexandrie antique et médiévale, avec ses grands canaux navigables, la ligne de côte antique reconstituée, les fouilles menées par le Centre d’Études Alexandrines fondé par Jean-Yves Empereur, et les citernes médiévales. La problématique de l’eau est longuement évoquée, car la ville n’est pas reliée au Nil et l’eau douce manque à Alexandrie, d’autant qu’au Vème siècle après J.C. les côtes se sont effondrées et ont entraîné la salinisation des nappes phréatiques. Pour remplacer les anciens puits, Alexandrie a construit ses citernes comme de véritables cathédrales à partir de la captation des eaux souterraines. Plusieurs maquettes sont montrées, comme la citerne El-Nabih datant de la fin du 12ème– début du 13ème siècle et la citerne Ibn Batuta du 10ème-14ème siècle. On voit aussi des gargoulettes, des filtres de gargoulettes finement ciselés, en céramique. Des dessins et schémas sont aussi montrés, comme le dessin de la citerne Saffwan et une aquarelle du début du 19ème siècle, signée de l’architecte Pascal Coste : Écluse à construire à la tête du Canal de navigation El-Mahmoudieh. Ce canal avait été conçu pour relier Alexandrie au Nil et amener l’eau lors de la crue du fleuve. On trouve dans l’exposition des têtes de Porteurs d’eau modelées en terre (30 avant J.C./ 395 après J.C.), une grande jarre à eau (le Zir), une toile de Franz Wilhelm Odelmark Porteur d’eau au Caire, datant de la fin du 19ème/début du 20ème, une Stèle bilingue en latin et en grec, relatant des travaux dans le canal Auguste, autant de propositions rassemblées autour de ce thème sur l’eau. Une carte d’Alexandrie réalisée en 1865 par l’astronome Mahmoud Bey el-Falaki montre le développement de l’installation urbaine à travers plusieurs plans comparatifs de l’Alexandrie ancienne et moderne. Des aquarelles de Jean-Claude Golvin restituent aujourd’hui encore les sites et monuments anciens qui sont autant de mémoires de la ville.

La seconde section de l’exposition parle de Pouvoirs et Savoirs. En 30 avant J.C. l’Égypte est intégrée à l’Empire Romain et les souverains adoptent à leur tour la stature d’un Pharaon. Du côté des Pouvoirs, ces souverains font l’objet d’un culte officiel et sont considérés comme des divinités. Des statues colossales sont érigées, à leur image, comme le montre la Tête d’empereur romain en Pharaon, faite en calcaire aux 1er-3ème siècle après J.C. On trouve ces représentations sur de nombreuses pièces de monnaies sur lesquelles on voit des temples, des arcs de triomphe, le Nil souvent personnifié dont tous les empereurs romains avaient compris l’importance.

Tête colossale d’une statue royale (3)

On trouve une cruche en terre cuite, toute sculptée et d’une grande élégance : OEnochoé figurant la reine Bérénice II datée du 3ème siècle avant J.C. ; la tête colossale d’une statue royale datant de 305-222 avant J.C. ; une sculpture de Ptolémée III en calcaire, portant des traces de polychromie ; Arsinoé II fille de Ptolémée et de Bérénice, statue en marbre du 2nd siècle avant J.C. Charles Gauthier réalise en 1880 une statue de Cléopâtre VII en plâtre patiné, Cléopâtre est tout un symbole pour Alexandrie. Il y a des stèles avec des hiéroglyphes, un Relief de Ptolémée 1er en calcaire sculpté de 304-30 avant J.C., des mains de marbre, monumentales, l’une dans l’autre. Des fragments de statues colossales ptolémaïques ont aussi été retrouvées dans le quartier de Smuha, dont un buste féminin et une tête masculine présentées dans l’exposition. Du côté des Savoirs la Bibliothèque antique a fait d’Alexandrie une ville de la connaissance sur laquelle les muses se sont penchées – incarnant les arts et les sciences dans la culture grecque. C’est aussi une ville où se développent les Sciences Arabes. Au VIIème siècle, Alexandrie est convoitée par les scientifiques pour ses connaissances mathématiques et astronomiques, ses découvertes, comme celle de l’astrolabe qui mesure la hauteur des étoiles. Un astrolabe de 1326 en laiton, venant de Damas, est présenté, Ali ben Ibrahim Astrolabe syro-égyptien, ainsi que diverses représentations sur papyrus liées au domaine scientifique, comme ce Fragment sur l’enseignement de la chirurgie datant du 1er siècle après J.C. et cette Scène entre le précepteur et son élève.

Relief avec signe ânkh (4)

On entre ensuite chez les dieux et les déesses à commencer par Sarapis, dans la section Temples et bilinguisme culturel. Le grand sanctuaire de Sarapis est l’un des plus célèbres du monde antique, c’est l’interprétation grecque d’Osiris-Apis, l’un des dieux principaux de Memphis, ancienne capitale des Pharaons. Après les Grecs, les Romains lui voueront une dévotion toute particulière et on assistera à l’émergence de nouvelles images des dieux de l’Égypte. Anubis et Horus règnent en maître. Les pages d’un Codex de Saint Cyrille d’Alexandrie sont exposées sur un papyrus grec, et l’on voit la représentation du Patriarche Théophile sur les ruines du Serapeum, vers 400 après J.C. ainsi que Le signe ânkh avec une croix chrétienne, un relief en calcaire datant du 5ème-6ème après J.C. L’apparition du christianisme à Alexandrie se fait avec Saint-Marc fondateur dit-on, de l’église d’Alexandrie ; de ce fait, au 3ème siècle après J.C. la ville devient un centre important pour la réflexion théologique chrétienne. Dans cette section, toutes les religions et toutes les écritures se mêlent, comme le montrent les stèles de pierre. On y trouve aussi de nombreuses figurines et statuettes.

C’est par les fouilles archéologiques que les traces de la vie quotidienne des Alexandrins se révèlent, modestement, car de nombreux quartiers d’habitation se sont effacés. Cette section, Les Alexandrins du quotidien repose principalement sur les vestiges retrouvés des maisons de maîtres et de l’élite, de leurs bijoux et de leurs meubles, de leurs mosaïques comme la Mosaïque à la médaille et la Mosaïque au chien datant du 2ème siècle après J.C. découvertes lors des fouilles de la Bibliotheca Alexandrina. A l’opposé, la Ville des Morts retrouvée en 1997 au hasard d’un chantier, laisse à penser, à travers stèles et bas-reliefs, que différentes traditions funéraires coexistaient : des tombes collectives disposant de chambres funéraires dans lesquelles se trouvaient des loculis – qui sont ces cavités creusées dans les murs, de taille variable et disposées en rangées. Des figurines tanagras en terre cuite datant des 4ème-1er siècle avant J.C. déclinent les drapés de la femme. Des traces de danses rituelles et décors architecturaux en forme de grappes de raisin trouvées sur des gobelets de faïence et de terre cuite ainsi que sur des bas-reliefs marquent le culte de Dionysos. Elles nous introduisent dans les pratiques de la cité antique de Nubie, Méroé, capitale du royaume de Koush, qui témoigne du début de l’ère méroïtique où le culte du dieu Dionysos est à l’honneur. Méroé est connue pour ses nécropoles à pyramides et à forte pente, relativement bien conservées. Au début du 3ème siècle avant J.C. La Mosaïque de Palestrina, l’une des plus grandes de l’époque hellénistique, marque la crue du Nil ; elle est de toute beauté.

Bracelet au cobra (5)

À travers la succession des temps qui ont construit la ville – temps politique, urbanistique, religieux, ce parcours d’exposition met en perspective la vision et le langage de dix-sept artistes d’aujourd’hui. D’observateurs ils sont devenus acteurs et ont construit une dialectique qui explore la ville en interaction avec les époques et les objets. Ils en font récit. L’Alexandrie contemporaine s’entrelace avec l’Alexandrie mythique et ses Futurs antérieurs apportant leur note singulière et défiant le temps. En filigrane, le passé colonial, les interactions multiculturelles, l’érosion sociale et écologique résonnent à travers peintures, photographies, sculptures et installations audiovisuelles. Nous ne pouvons citer ici tous les artistes, nous en présentons quelques-uns par leurs travaux, à commencer par trois œuvres spécialement conçues pour l’exposition : la peinture murale de Mona Marzouk, Apparatus and Form de laquelle se dégage une certaine grâce tant dans les contours que dans ses couleurs pastel ; la Gorgone-avtr, œuvre en triptyque de Jasmina Metwaly, qui montre un portrait décalé à travers un regard voilé et un traitement de la lumière jouant entre surexposition et sous-exposition ; la création de Waël Shawky, qui clôt l’exposition, Isles of the Blessed (Oops !… I forgot Europe), présentée sous forme d’un film, qui met en œuvre des figurines-marionnettes bien étranges, en argile et avec des enfants racontant les histoires des îles des Bienheureux.

Inspirés par Alexandrie, beaucoup d’autres artistes ont et avaient inscrit la ville dans leur œuvre. Ahmed Morsi est ici présent avec deux propositions : la très onirique couverture du livre Elegies to a Mediterranean Sea et une œuvre réalisée en 1987, Untitled (Seaside Diptych) qui présente le monde sombre de l’exil où se retrouvent les symboles de sa ville natale, Alexandrie, qu’il a quittée pour New-York dans les années 1970, alors qu’il avait une quarantaine d’années – la Méditerranée, les poissons, un morceau de colonne, une barque, une cheminée de bateau qui pourrait évoquer un phare, des hommes qui s’affairent, l’air inquiet ; Mahmoud Khaled, évoque sa perception du parc Antoniadis, il en rapporte en 2014 un reste de céramique et de carreaux, d’un bleu très bleu, évoquant les fontaines asséchées (Détail 1), une série de photos argentiques contenant des éléments architecturaux ou ornementaux (Détail 3) et une peinture murale en trompe-l’œil d’une sculpture de nu néoclassique, sous le titre Exercise.

Hrair Sarkissian (6)

Avec Background, Hrair Sarkissian interprète l’Antiquité en représentant deux colonnes antiques de type gréco-romain, courtes, qui se détachent sur un fond bleu (2013). Hassan Khan avec The Twist (2013), représente le détail ornemental d’un balcon, par une sculpture en fer. Avec Gordian Knot (2013) Aslı Çavuşoğlu  pose une sculpture sur le côté, visage décalé, masque de mort, comme abandonné. History as proposed/al Ma’rifa, qui signifie la connaissance, est une oeuvre signée de Marianne Fahmy qui s’empare de l’idée du supplément d’un journal – elle avait eu l’expérience du quotidien Al-Ahram où elle avait travaillé – et imagine un supplément de six pages autour d’une gare ferroviaire située vers le port et tombée en désuétude. Water-Arms Series a été créé par Jumana Manna, colonnes de terre formées par des canalisations coudées. Maha Maamoun photographie baigneurs et baigneuses sous le pont Stanley dans le quartier Rushdie, à l’est d’Alexandrie et Malak Helmy construit un environnement sonore, Music for Drifting, à partir du vol d’un oiseau porteur d’un enregistreur qu’il envoie le long de la Côte Nord et du désert occidental égyptien. Il enregistre ses passages sur la colline de Al-Alamein, lieu marqué par la fin de la progression des forces de l’Axe en Afrique du Nord, durant la 2nde Guerre mondiale, à quelques kilomètres d’Alexandrie.

Avec Alexandrie – Futurs antérieurs, le parcours historique que le visiteur est invité à suivre, dialogue avec les œuvres contemporaines. Ces constants allers-retours à travers les strates du temps permettent de pénétrer dans la complexité des choses et dans l’esprit d’Alexandrie, l’esprit des lieux. C’est une douce et belle invitation au voyage !

 Brigitte Rémer, le 15 avril 2023

Légende des visuels – (2) Jasmina Metwaly, travail préparatoire pour Gorgon-avtr, 2022. Vidéo et triptyque : huile sur bois et technologie digitale © Courtoisie de Nurah Farahat, Alaa Abdullatif et Jasmina Metwaly – (3) Tête colossale d’une statue royale, 305-222 av. J.-C. Chaux de nummulite, à gros grains. Kunsthistorisches Museum Vienna, Egyptian and Near Eastern Collection © KHM-Museumsverband – (4) Relief avec signe ânkh dans lequel est intégrée une croix chrétienne, Ve-VIe siècle apr. J.-C. Calcaire. Hildesheim, Roemer-und Pelizaeus-Museum © Roemer-und Pelizaeus-Museum, photo : Sh. Shalchi – (5) Bracelet au cobra, IVe siècle apr. J.-C. Or. Morlanwelz, Musée royal de Mariemont © Musée royal de Mariemont – (6) Hrair Sarkissian, Background, 2013. C-print (papier rétro-éclairé). Courtoisie de l’artiste © Hrair Sarkissian.

L’exposition s’inscrit dans le cadre du projet cofinancé par le programme « Europe créative » de l’Union européenne, Alexandrie – (Ré)activation des imaginaires urbains communs, mis en oeuvre par les partenaires suivants : Mucem (FR), Université de Leyde (NL), Kunsthal Aarhus (DK), Undo Point Contemporary Arts (CY), Domaine et Musée royal de Mariemont (BE), Bozar/Palais des Beaux-Arts, Bruxelles (BE), Ariona Hellas AE (GR), Cittadellarte – Fondazione Pistoletto (IT) – avec le concours des partenaires associés : Cluster (Égypte), Institut Français d’Alexandrie (Égypte), Theatrum Mundi (UK) – Exposition en coproduction, organisée par le Musée royal de Mariemont, Bozar – Palais des Beaux-Arts, Bruxelles du 30 sept. 2022au 8 janvier 2023 et le Mucem, Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, Marseille, du 8 février au 8 mai 2023 – Le catalogue Alexandrie, Futurs antérieurs, est co-édité par Bozar, Mucem, Actes Sud, Fonds Mercator en trois versions : française, anglaise, néerlandaise (35 euros).

MUCEM – Réservation, tous les jours, de 9h à 18h par téléphone : 04 84 35 13 13 ou par mail : reservation@mucem.org / mucem.org – Entrée par l’esplanade du J4, ou par la passerelle du Panier, parvis de l’église Saint-Laurent, ou par l’entrée basse fort Saint-Jean par le 201, quai du Port – métro : Vieux-Port ou Joliette – Derniers jours / Jusqu’au 8 mai 2023.